Comment les journalistes refaçonnent le visage de l’église Hillsong
“Hillsong est une église différente aujourd’hui de celle qu’elle était il y a un an.” — Phil Dooley, pasteur mondial de Hillsong.
La presse amène souvent les grosses institutions à changer. Cela fait plus de dix ans que celle-ci s’intéresse à la gouvernance financière de l’église Hillsong, mais j’imagine que le temps de Dieu n’est pas celui du cycle de l’info. Vous êtes plus en sécurité à l’église grâce à la presse libre et indépendante, voici pourquoi.
Dans la publication d’aujourd’hui : un nouveau personnage entre en jeu. Lazare a rejoint le chat.
La supposée traîtrise des lanceurs d’alerte
Hillsong Sydney, la maison mère, continue de se réformer
L’héritage écrasant de Brian Houston
Toujours dans le viseur de la presse et du parlement Australien
La méthode Phil Dooley peut-elle marcher en France ?
« Malheureusement, il y a un documentaire à propos de l’église qui va bientôt sortir » annonçait Phil Dooley, pasteur principal mondial de Hillsong, dans un service retransmis en direct sur YouTube le 19 février 2022. « L’objectif des producteurs qui sont derrière ce documentaire n’est pas la guérison des gens, prévient-il, mais de simplement faire du mal à l’église. »
Si vous lisez entre les lignes : les producteurs du documentaire (que vous pouvez regarder ici) sont des anciens membres de la congrégation, qui ont des choses à dire sur le fonctionnement de l’église. Malgré les nombreux documentaires, articles et reportages sur l’église Hillsong depuis plus de dix ans, pourquoi est-ce toujours mal vu de critiquer l’église ? Les épitres de Paul n’étaient pas des lettres de courtoisie aux différentes communautés chrétiennes de son époque, à ce que je sache. Pourquoi ne peut-on pas “corriger le tir”, en tant que grande famille ? Bienvenue à la maison, venez, il faut qu’on parle !
Pourquoi faut-il que les médias confessionnels et séculiers se mêlent des affaires de l’église pour que celle-ci daigne ne serait-ce qu’admettre ses dysfonctionnements ? L’opinion publique et l’image de marque de l’église sont elles plus importantes que celles des membres de la congrégation ? Comment sont traités ceux qui tentent de prévenir/faire cesser les abus au sein de la communauté ?
La supposée traîtrise des lanceurs d’alerte
Derrière les “scandales” de la megachurch, il n’y a pas que des journalistes plus ou moins véreux. Il y a leurs sources, les insiders qui acceptent de parler à la presse, souvent sous couvert d’anonymat. Ce sont des gens qui ont fréquenté le cœur du leadership de Hillsong, puisqu’ils sont très bien informés et qu’ils sont capables de fournir des documents que le leadership de Hillsong ne souhaite pas voir publiés.
Les gens très impliqués dans la communauté ne se sont pas réveillés un matin avec l’envie soudaine de la quitter. Ils ont tenté de changer les choses de l’intérieur, à leur échelle, en suivant la bienséance et la révérence qui sont dûs dans un système pyramidal et autocéphale. Puis, las d’être ignorés ou baladés, ils se sont éclipsés.
Quand le leadership de Hillsong est chanceux, les démissionnaires prétextent un “changement de saison” pour expliquer leur départ. Il n’y a plus qu’à leur trouver un remplaçant. Ce remplaçant sera sans doute honoré de prendre plus de responsabilités dans un système stakhanoviste, mais il sera aussi témoin ou victime des mêmes situations d’abus qui ont amené ses prédécesseurs à démissionner.
Quand le leadership de Hillsong est moins chanceux : les démissionnaires s’en vont, mais ne souhaitent pas voir d’autres personnes être victimes du système. Ce qu’ils chuchotaient timidement aux oreilles du leadership, ils finissent par le crier à qui veut l’entendre, pour que quiconque puisse agir. Lorsque les gens claquent la porte de la communauté avec fracas, ce n’est assurément pas parce qu’ils “ouvrent les yeux” sur les travers violents d’un système imparfait. Non. Ils ne veulent plus en être les complices, les co-signataires, en passant sous silence les aberrations.
C’est comme ça que commencent les projets de livre et de documentaire.
Hillsong Sydney, la maison mère, continue de se réformer
Carl Lentz, Brian Houston, et les différentes frasques des leaders de Hillsong à travers le monde ont fait les choux gras de la presse internationale. Même Vanity Fair a produit une (très bonne) série documentaire sur l’église, que vous pouvez regarder sur Disney Plus. Acculée par la presse à propos du star system autour des pasteurs, la maison mère n’a pas eu d’autre choix que de réformer son modèle de gouvernance. Il existe toutefois un campus d’irréductibles gaulois, dont la potion magique (a.k.a. la loi du silence) permet de résister au souffle du changement trois ans après le début de la débâcle.
J’ai écrit un article précédemment sur les efforts de partage de pouvoir mis en place par le nouveau leadership, après l’éviction très médiatisée de Brian Houston. Ces réformes n’ont pas été suivies en France malgré de timides demandes de certains membres du staff français. Un ex membre du campus de Paris, aujourd’hui installé en Australie, a eu l’amabilité de me transmettre quelques informations supplémentaires sur ce nouveau cap. Nous l’appelleront Lazare.
Lazare m’a envoyé entre autres le nouveau “credo” du staff de Hillsong Sydney : « il a été élaboré de façon collaborative par l’ensemble des membres du staff et reflète la culture que le staff actuel veut construire » m’écrit-il. Je posterai une traduction de ce document qui met en avant le nouveau cap que poursuit Sydney dans un prochain article.
L’héritage écrasant de Brian Houston
J’ai ouï dire que le top leadership d’Hillsong France, biberonnée par l’ancienne garde de la maison mère, continue aujourd’hui de se référer à un article de Brian Houston pour modeler la culture du staff : 10 responsabilités culturelles du leadership de Hillsong, toujours accessible sur son blog.
Pour avoir pris part aux staff meetings (réunions hebdomadaires des leaders clés de l’église) d’Hillsong France pendant plus d’un an, je peux vous dire que le management de Brendan White s’inscrit pleinement dans le respect de ces principes. Aujourd’hui, je ne comprends toujours pas qu’on ait pu se référer à cette liste et ne pas anticiper les revers dont nous avons été témoins ces dernières années. Au détour de termes bien choisis par une équipe de communication aguerrie plane la silhouette de dérives sectaires.
Le nouveau credo de l’église Hillsong en Australie amène des principes plus respectueux du temps et des talents des gens, à mon sens. Il vient corriger une culture obsédée par la productivité et la croissance, au péril du bien être des membres de la congrégation. Le fait qu’il ait été élaboré de manière collégiale est aussi un signe encourageant. S’il est correctement appliqué, il devrait apporter un véritable renouveau dans la pratique de l’église. Je reviendrai dessus plus en détails prochainement.
Toujours dans le viseur de la presse et du parlement Australien
Comme je le disais, cela fait plus de dix ans que la presse s’intéresse à la gouvernance financière de l’église en Australie. Les journalistes remettent en cause la transparence de l’église vis à vis de ses finances et de sa gouvernance (tiens, tiens, on dirait que la pomme ne tombe jamais très loin de l’arbre !). L’année passée, le feuilleton sur Hillsong et l’argent a pris un sacré tournant. « Un lanceur d’alerte a fait fuiter des documents, qui ont été rendus publics par un membre du parlement australien » me résume Lazare.
Face à la tempête médiatique que cela a déclenché, Phil Dooley a dû à nouveau s’adresser à la congrégation à titre de damage control. En mars 2023, il écrit : « L’église Hillsong a été transparente et ouverte avec la congrégation à propos des échecs passés sur sa gouvernance. Au cours des douze derniers mois, nous avons requis l’assistance de professionnels pour réviser notre gouvernance et nos procédures de responsabilité. Hillsong est une église différente aujourd’hui de celle qu’elle était il y a un an. Elle est soumise à un nouveau leadership pastoral et administratif. Nous travaillons dur pour soumettre notre organisation à plus de redevabilité et de transparence. »
La méthode Phil Dooley peut-elle marcher en France ?
Je ne sais pas si les membres français de la congrégation ont reçu une traduction de cet email (n’hésitez pas à me le dire en commentaire). Encore une fois, il faut lire entre les lignes. L’église Hillsong “a été transparente et ouverte avec la congrégation”, car elle ne pouvait plus cacher ce que les journalistes ont porté à la lumière. S’il n’y avait pas eu d’articles sur les secrets de la mégaéglise, la famille Houston serait sans doute encore en poste, Carl Lentz également et les différents pasteurs dont les comportements problématiques ont été exposés seraient sans doute restés sous le radar.
Phil Dooley se targue d’avoir “requis l’assistance de professionnels pour réviser notre gouvernance et nos procédures de responsabilité”, mais il a fallu que les journalistes pointent du doigt les défaillances du système et que cela provoque un tollé médiatique pour que cela arrive. En France, l’église Hillsong préfère encore faire appel à un comité d’experts bénévoles pour endiguer une crise de confiance au sein de la congrégation.
Dans son communiqué, le boss de Hillsong met en avant “un nouveau leadership pastoral et administratif”, car oui, le renouveau a du bon. Posons les choses telles qu’elles sont : dans une autre organisation, une autre église, une autre entreprise, un bilan tel que celui d’Hillsong France aujourd’hui aurait valu au top leadership d’être licencié, remercié, évincé, sans autre forme de procès. Je doute même du fait que Brendan White puisse tolérer à la tête de l’une de ses équipes un leader dont le ministère s’est considérablement réduit et qui ne produit pas les résultats escomptés.
Enfin, même si Phil Dooley déclare : “Nous travaillons dur pour soumettre notre organisation à plus de redevabilité et de transparence” et dénonce le travail de la presse australienne, il faut être deux pour danser le tango. La redevabilité et la transparence ne sont garanties que si une institution indépendante de l’organisation peut vérifier que ce que pratique l’église est conforme à ce qu’elle prêche. Si “Hillsong est une église différente aujourd’hui de celle qu’elle était il y a un an”, c’est bien parce que des journalistes font leur travail.
Les abus fleurissent dans le silence et le secret
J’ai eu l’occasion plusieurs fois de travailler sur le sujet des abus sexuels au sein des églises catholiques. J’ai même écrit récemment que les églises évangéliques ne sont pas épargnées par cette tragédie. Ce que je tire de cette expérience, c’est que les églises ont toujours eu du mal à admettre l’étendue de leur responsabilité lorsqu’elles font du mal (physiquement, mentalement ou spirituellement) à leurs fidèles.
La médiatisation des témoignages des victimes ont amené les églises à réagir (un peu trop tard, selon la commission Sauvé), et cela n’aurait pas été possible sans le travail des journalistes, ni le courage des victimes qui témoignent parfois des décennies après les faits. Chacun mérite de se sentir en sécurité (physiquement, mentalement, spirituellement et financièrement) lorsqu’il rejoint une église.
Un ami et confrère m’a toutefois écrit un jour : « Les axes éditoriaux que tu choisis de mettre en avant ne sont pas les miens. Nous faisons tous des erreurs, il y a de la noirceur en tous, mon travail et mon souhait ne sont pas de la mettre en avant, mais d’éclairer le chemin, pas d’ébouir les voyageurs. »
Malheureusement, c’est dans cette même noirceur, sur laquelle on refuse (par courtoisie) de faire la lumière, que se déplace le loup.
Excelsior,
Tiavina Kleber