Est-ce que vous arrivez à croire qu'on fait partie de ça ?
Apparemment, la question de mes motivations est inévitable. C'est sans doute plus facile que de questionner le leadership de Hillsong France.
La culture évangélique a encore des progrès à faire pour ce qui est de se remettre en question et d’accepter le vis à vis de la confrontation, que ce soit à Hillsong ou ailleurs. Je le savais lorsque j’ai publié ma lettre ouverte et je vais vous dire pourquoi nous sommes tous responsables de ce que fait Hillsong France (de bien ou de mal).
Peu de mes amis de confession évangélique suivent les informations. Gneuh gneuh… C’est déprimant… Gneuh gneuh… Les journalistes font dans le sensationnalisme… Gneuh gneuh… On a déjà trop de choses à suivre dans la vie...
J’ai aussi remarqué qu’il était mal vu de questionner l’autorité des pasteurs ou de critiquer, même de manière constructive, toute organisation. Ça n’est pas du tout ma culture. Sinon, j’aurais choisi une toute autre vocation. Depuis la publication de ma lettre ouverte, j’ai reçu du soutien (quasiment jamais publiquement), de l’incompréhension, et beaucoup de questions, notamment sur ce qui motive ma démarche. Quel est mon objectif ? Est-ce que je suis toujours chrétienne ? Est-ce que c’est une démarche biblique ? Comment va mon cœur ?
Mais qui fait du mal à l’imparfaite épouse de Christ ?
La question qui me fait tiquer est celle-ci : “N’as-tu pas peur de faire du mal aux autres églises, celles qui ne commettent pas d’abus ?” Je sourcille parce que je ne sais pas si les gens réalisent que je reporte sur des faits de harcèlement moral, d’optimisation fiscale (pour ne pas dire de la fraude), sur une culture d’omerta et d’abus généralisés, mais c’est à moi qu’on demande si j’ai peur que mes actions fassent du mal à qui que ce soit.
C’est comme si vous demandiez à des journalistes qui reportent sur les abus sexuels s’ils ont peur que les agresseurs aillent en prison. 1) Nous ne sommes pas responsables des agressions qui ont été commises. C’est l’agresseur. 2) Nous ne sommes pas responsables de la manière dont la Justice ou les institutions religieuses vont gérer la situation. 3) Nous sommes tous responsables, en tant que société, du cadre dans lequel l’agression a eu lieu et a été permise. J’insiste sur ce dernier point, car si vous lisez les récents rapports sur les abus sexuels dans l’Église, la plupart des scientifiques soulignent qu’ils sont facilités par le silence de la communauté religieuse, souvent pour “protéger l’institution”.
Il y a des choses vraies et il y a la vérité
Je ne pense pas que les choses soient blanches ou noires, je pense qu’on vit dans un monde gris et notre spiritualité nous enseigne à gérer l’entre-deux. J’utilise souvent cette image, empruntée à la philosophie, de l’ombre d’un cylindre projetée sur des murs pour illustrer la vérité.
On peut regarder la même réalité : selon le point où l’on se trouve cette réalité ne ressemble pas à la même chose. Dans notre exemple, l’ombre d’un cylindre peut ressembler à un disque ou à un carré. Les deux points de vue sont inconciliables, mais les deux points de vue vous montrent quelque chose de vrai à propos du cylindre. Les deux points de vue ne sont pas la vérité, car ils ne montrent qu’une partie de la vérité.
La spiritualité chrétienne nous enseigne que la vérité est une personne : Jésus. Il y aurait donc une forme d’autorité supérieure, pour les personnes qui sont perçues comme étant proches de Jésus, car ils seraient les plus proches de LA vérité. Je crois que c’est de là que vient l’autorité qu’on donne trop facilement aux pasteurs.
Là où ma spiritualité (qui n’engage que moi) rejoint la philosophie : je pense que la vérité est une personne dont le cœur s’exprime par un milliard de facettes, un milliard de personnes, un milliard de façons de percevoir le monde différemment. On ne peut pas percevoir la vérité en ne s’intéressant qu’à un seul point de vue. On s’intéresse à quelque chose de vrai, mais on ne recherche pas la vérité.
L’hyper-relativisme et le chaos
On ne peut toutefois pas tolérer que tous les points de vue se valent, puisque tous les points de vue n’impactent pas la société de la même manière et qu’il est difficile de bâtir le “vivre ensemble” lorsque chacun bâtit sa propre chapelle. C’est pourquoi nous votons des lois qui imposent un certain cadre, un certain positionnement, qui évoluent en fonction du contexte et de ce qui est moralement acceptable dans la société.
Je considère que notre travail, à nous les journalistes, c’est de rappeler au monde que différentes facettes de la vérité existent, car le monde ne peut pas accepter pour vrai une vérité partielle. Si Hillsong vous montre son plus beau visage le dimanche, j’aimerais aussi vous rappeler que la loi définit un cadre à respecter dans la manière d’exercer un culte, et que même lorsque la loi est floue, la Justice française précise la loi via sa jurisprudence. Il existe aussi nombre d’acteurs (comme les journalistes et les scientifiques) qui commentent les événements pour nous en donner une meilleure compréhension. Toutes ces facettes doivent avoir notre attention.
La vérité ne se limite pas à ce qu’Hillsong souhaite nous laisser apercevoir. Tout comme elle ne se limite pas aux événements que j’ai décidés de relater. Oui, à Hillsong, j’ai connu des moments de joie, une communauté forte, des choses très positives. Cela ne rend pas moins vrai que j’ai aussi été la témoin directe d’abus.
« Journalism is printing what someone else does not want printed. Everything else is public relations » — George Orwell
J’ai décidé de vous montrer une autre facette de Hillsong France, non pas pour traîner l’église dans la boue, mais pour que vous ayez chacun une meilleure compréhension de ce qu’est l’organisation. Elle a plusieurs facettes : celle qu’elle nous donne à voir, et celle qu’elle aimerait que nous ne voyons pas. Cela ne la rend pas mauvaise, mais cela ne nous informe pas suffisamment dans les choix que nous faisons vis-à-vis de cette organisation.
C’est nous qui définissons le cadre dans lequel l’organisation Hillsong opère. C’est nous qui l’équipons avec la force de frappe dont elle bénéficie pour faire le bien ou pour faire le mal. Nous lui donnons de l’argent. Nous votons pour qu’elle ait la liberté d’agir. C’est donc nous qui sommes responsables de ce que nous autorisons Hillsong à faire. Nous devons donc être bien informés de comment Hillsong fonctionne.
Je mets, par exemple, beaucoup l’emphase sur l’aspect des finances et le régime fiscal des églises. Cela ne signifie pas qu’il faut donner moins d’argent ou durcir le statut d’association cultuelle (déjà rendu très rigide par la loi séparatisme). Je dis simplement que nous donnons beaucoup de pouvoirs et de libertés à certaines organisations sans leur demander de transparence en retour, ni poser de garde fou pour éviter les dérapages.
Si un tireur fou s’introduisait dans une église pour fusiller les croyants qui s’y étaient réunis : qui est responsable de cette tuerie de masse ? Celui qui a tiré, ou celui qui l’a équipé d’une arme de guerre sans lui poser de question ?
Une démarche qui interroge
Je trouve ça merveilleux l’élan de générosité qui caractérisait ce que j’appelais autrefois mon église. Pour honorer cette générosité et s’assurer qu’elle atteigne l’objectif qu’elle vise, j’espère que nous pourrons encadrer et discipliner ceux à qui nous en donnons la gestion.
J’ai décidé de vous informer sur les potentiels conflits d’intérêts et les problèmes de gouvernance de Hillsong France pour que vous puissiez prendre des décisions éclairées sur le cadre dans lequel vous laissez l’organisation agir.
Nous sommes tous concernés. Nous sommes tous coupables.
Vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas ce que vous faites.
Excelsior,
Tiavina Kleber
PS : Pour ceux que ça inquiète véritablement, oui, je suis bien entourée, oui, j’ai des gens qui prient pour moi, oui, je fais relire mes articles à des gens qui n’ont pas les mêmes opinions que moi. Non, nous sommes pas obligés d’être tous d’accord sur ma démarche. Je ne suis pas obligée de me justifier, mais certains d’entre vous ne sont clairement pas familiers avec le fonctionnement de la presse et des contre-pouvoirs Je me demande ce qu’ils diraient d’aller exercer leur foi en Corée du Nord.