Face à face avec un ancien membre du Conseil d’Administration d’Hillsong France
Dans un entretien d’une heure, j’ai discuté avec un ex-membre du top leadership de l’organisation, à propos de son expérience du fonctionnement de la gouvernance de Hillsong France.
Qui de mieux qu’un ancien top executive de Hillsong France, pour nous parler des coulisses de l’organisation ? La face cachée d’une mégaéglise très populaire possède son lot de squelettes dans les placards. Il ne faut pas en avoir peur, ils ont une leçon à nous donner.
J’espère que vous avez prévu un plaid et une bonne tasse de thé, car la publication d’aujourd’hui est carabinée. Au programme :
Un témoin clé et une perspective importante
Comment est managée l’organisation Hillsong France ?
L’épineux sujet des conflits d’intérêt et de la rémunération du staff
Une politique RH sans foi ni loi ?
Qui conseille le top leadership de Hillsong France ?
Elle a bon dos la fameuse “fin d’une saison” !
Comment écraser tout espoir de sédition
“On frôle le mensonge”
Le couple pastoral Y, un élément perturbateur ?
Le lourd tribut d’une église mondiale
Rester au staff aurait-il pu changer quelque chose ?
C’est parti !
Parmi mes lecteurs, certains ont pris la peine de m’envoyer des emails et des documents pour m’aider à mieux comprendre la situation à Hillsong France. Avant cela, je n’avais que ma perspective de petit rat de media room (mon rôle au sein d’Hillsong France était dans la production audiovisuelle). Les questions de pouvoir et de leadership m’échappaient souvent, car je ne me trouvais pas dans les espaces de décisions et de gouvernance. Je n’étais qu’un petit soldat “d’exécution”.
Après avoir publié ma lettre ouverte à l’église, j’ai donc sollicité l’aide d’une source extérieure pour comprendre les rouages du système : un ancien membre du Conseil d’Administration, qui a aujourd’hui pris beaucoup de distance avec l’organisation. Nous l’appellerons Mardochée.
Un témoin clé et une perspective importante
Nous étions en poste au même moment. Nous nous croisions parfois au bureau de Hillsong France à des horaires où nous étions sensés être en repos. Je me souviens du lundi soir, où JD, directeur artistique, et moi, luttions avec une notice pour monter les meubles que vous apercevez derrière les pasteurs de Hillsong Paris dans les services en ligne. Mardochée est ensuite sorti de son bureau et nous avons plaisanté sur le fait que nous étions encore au travail à une heure tardive.
J’avais l’impression que ce que nous avions traversé ensemble (et à la fois séparément) pour faire grandir l’organisation nous permettait de ne pas douter du fait que nous avions sincèrement les intérêts de l’église à cœur.
Pour être complètement transparente avec vous et admettre mon propre biais dans cette situation : le départ de Mardochée de l’église m’avait beaucoup émue à l’époque, puisqu’il a (involontairement) causé le départ d’une personne qui m’était très chère au sein du staff. Cette personne là représentait pour moi un modèle d’intégrité et d’authenticité dans le leadership. Mardochée, quoi que l’on en pense, semblait avoir gagné la confiance de cette personne, et donc, par extension, je lui faisais aussi un peu confiance.
Je peux me tromper, mais je fais toujours en sorte de vérifier les informations qui me sont transmises. Le but de mon échange avec Mardochée était de mieux comprendre le fonctionnement du top leadership, à la lumière de tous les éléments que j’ai pu réunir et corroborer.
Notre rencontre s’est déroulée quelques jours après la publication de ma lettre ouverte. Mardochée ne semblait pas bouleversé par son contenu, comme s’il s’attendait à ce que le pot-aux-roses finisse par être révélé à propos de la gouvernance de l’église Hillsong France.
« J’aimerais d’abord comprendre qu’est-ce qui t’a amené à faire cet article ? » m’a-t-il d’abord demandé. A priori, l’ancien administrateur d’Hillsong France ne souhaite s’exprimer que dans une démarche constructive. Dans nos échanges, nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais sa perspective est précieuse, puisque rares sont les personnes qui ont vraiment évolué au cœur du système.
Comment est managée l’organisation Hillsong France ?
Comment Mardochée s’est il retrouvé au sein du top leadership d’Hillsong France ? « Initialement, il s’agissait de libérer le pasteur de l’équipe créative de ses responsabilités au sein du département finance » se souvient-il. Je ne suis pas encore entrée dans le sujet, mais dans cette organisation, la facilité avec laquelle on nous demandait de jongler plusieurs casquettes qui n’ont rien à voir, me semblait aberrant.
« Il a fini par dire “je n’en peux plus”, et ça s’est toujours passé comme ça [pour amener le Conseil d’Administration à ouvrir un nouveau poste au sein de l’organisation]. J’ai commencé avec les finances (...) puis il y a eu l’aspect RH à mettre en place, puis l’aspect immobilier à gérer, et mon rôle avec Kingdom Builders [le groupe des généreux donateurs de la congrégation, ndlr]. »
Cette énumération me met mal à l’aise, puisque depuis qu’il est devenu membre du Conseil d’Administration, Mardochée est sensé contrôler et valider le bien fondé des décisions prises dans le périmètre qu’il vient de décrire, des décisions qu’il prend lui-même en concertation avec Brendan White. Tout comme Zo Nyali, aujourd’hui responsable des Ressources Humaines et à la fois membre du Conseil d’Administration de Hillsong France, Mardochée était juge et partie.
Je lui fais part de cette observation. « Probablement, me répond-il, mais il y a quelques années, nous avions touché du doigt un problème de gouvernance et cela nous a amené à revoir les rôles au sein du Conseil d’Administration, pour qu’il n’y ait pas une proportion trop grande de gens qui soient aussi salariés de l’association. On a jamais été à 100% [de salariés siégeant au Conseil d’Administration]. S’il y a un quotat [légalement] à ne pas dépasser, on ne l’a jamais dépassé. »
Ce qui est légal est-il toutefois éthique ? Mardochée a le mérite d’admettre le potentiel conflit d’intérêt : « C’est vrai que j’étais dans les deux, au même titre que George Aghajanian, manager général de Hillsong Mondial » (George Aghajanian a depuis quitté ses fonctions, ndlr). On observe donc qu’Hillsong France continue en effet de reproduire le système de Hillsong Sydney.
L’une des problématiques qui met le plus en valeur ce conflit d’intérêt n’est autre que celle de la disparité de rémunérations au sein du staff. Plusieurs ex-employés du staff de l’église Hillsong m’ont rapporté un vrai problème d’équité dans la gestion des salaires.
L’épineux sujet des conflits d’intérêt et de la rémunération du staff
Qui a le dernier mot sur les salaires ? Cette question fait sourire Mardochée et il se fait plus hésitant. « Officiellement, c’est le Conseil d’Administration, me répond-il, J’ai travaillé sur un projet de grille de rémunération, mais je suis parti avant qu’il n’aboutisse. Il y avait quand même un début de trame de grille avant cela. »
Malheureusement, comme dans beaucoup de domaines, si ce genre de politique n’est pas gravée dans le marbre, vous pouvez vous attendre à ce qu’elle soit exécutée à géométrie variable. Certains ex-membres du staff m’ont indiqué qu’à responsabilités équivalentes, à profil équivalent, il y avait parfois de grandes différences de salaires. Je ne parviens pas à obtenir de Mardochée des critères clairs selons lesquels les montants des rémunérations sont établis. Il admet toutefois s’être inspiré de la politique salariale de Hillsong Sydney, à partir de documents fournis par la maison-mère, et avoir pris en compte la réalité du marché du travail français.
Je ne peux pas m’empêcher de demander à Mardochée le montant de sa propre rémunération. Il accepte d’être transparent dessus, même si je n’ai aucun moyen de vérifier l’information. Je ne le divulguerai pas ici, mais je peux vous dire que, sans être excessif, ce montant reflète effectivement le salaire d’un cadre supérieur dans une entreprise de taille moyenne. Je ne saurai pas dire si tous les salaires du staff sont soumis à cette équivalence, mais je connais personnellement plusieurs cas de postes rémunérés bien en dessous des montants du marché.
En tant que membre du Conseil d’Administration, vous avez toutefois plus de poids dans la négociation de votre salaire et de vos augmentations, puisque les statuts de l’association cultuelle vous donnent le pouvoir de valider les budgets et les salaires. Nous sommes donc dans une configuration bancale où la moitié des administrateurs, sont aussi compris dans la masse salariale et peuvent décider de leur propre rémunération. L’autre moitié, bénévole, n’est pas au contact du reste des salariés, mais se retrouve à décider de leur rémunération. Zachée, ex-employé du département des finances de Hillsong, avait dénoncé les circonstances obscures de l’attribution d’une “prime” par et pour la nouvelle RH.
Au-delà de proposer des rémunérations équitables, il y a aussi la question de comment sont attribuées les augmentations de salaires. En 2019, Mardochée a fait intégrer à la politique salariale la pratique des entretiens individuels, très courants en RH. On m’a rapporté plusieurs fois que ces entretiens n’ont pas eu beaucoup d’impact, si ce n’est d’exacerber les tensions entre les salariés et leurs leaders. « On avait beaucoup de mal à la formulation d’objectifs clairs, explique l’ex-administrateur, on n’était pas encore arrivé à un stade mature de politique RH avec des éléments ultra factuels, mais nous avons fait quelques évolutions à titre de rattrapage, comme des salaires qui auraient dû être mis à jour depuis des années. »
Face à cette organisation kafkaïenne, les membres du staff n’avaient pas véritablement de voie de recours, si ce n’est le jeûne et la prière. Mardochée n’est sans doute pas à l’aise sur la question, car en l’espèce, la politique salariale d’Hillsong France est indéfendable, que ce soit avant ou après son départ. « Il n’y avait pas de responsable RH, ni de département RH, rappelle-t-il, donc si tu avais un problème, il fallait te débrouiller en parlant avec les pasteurs principaux ou avec le Conseil d’Administration, mais même cette voie là n’était pas explicitée. »
Cette voie de recours est profondément problématique car elle ne garantit pas l’égalité entre tous les membres du staff ; la résolution des “conflits” dépendant uniquement de la relation et du degré de familiarité que vous entretenez avec votre supérieur. Mardochée l’admet lui-même : « Il y a d’une part cette culture toxique de ne jamais se plaindre, ne pas parler de ce qui ne va pas, d’estimer que la vie est belle, que tout est positif, “speak life”, et tout ça… Et d’autre part il y a l’aspect du contentement parce qu’il s’agit du ministère et qu’on est là pour servir les autres. On ne venait donc pas énormément me voir. » Même si la culture finissait par permettre à chacun de librement s’exprimer, la question de savoir qui est prêt à écouter n’est toujours pas élucidée.
On constate ici, encore une fois, que la gestion des ressources humaines est un métier, une expertise, qui devrait être professionnalisée au sein de l’organisation. Elle ne devrait pas être confiée à un comité d’experts, comme l’annonçait le Conseil d’Administration d’Hillsong France l’été dernier. Je serais curieuse de savoir ce que Zo Nialy a mis en place depuis sa prise de fonction en tant que RH/membre du Conseil d’Administration en 2022.
Une politique RH sans foi ni loi ?
Mais qui est responsable de ce chantier, au final ? « C’était pas terminé, mais on a fait beaucoup de chemin, souligne Mardochée, au tout début, une personne avait tous les pouvoirs. À la fin [de l’exercice de Mardochée], c’était toujours pareil, mais l’attitude avait un peu changé quand même. Il y avait un peu plus de place pour le dialogue et on impliquait davantage les membres du Conseil d’Administration. »
Je reste dubitative : quelque soit le processus de décison, le résultat est toujours le même. L’ancien administrateur finit par lâcher le morceau : « C’est quand même une personne qui décide, mais encore une fois, c’est la culture de Hillsong qui entraîne tout ça. Il y avait plein de belles idées, mais après, pour les mettre en place, c’était toujours compliqué. »
Il ne s’agit pas pour moi de pointer du doigt les injustices et les incohérences au sujet des rémunérations du staff. Il s’agit ici de mettre en lumière l’état catastrophique du dialogue social au sein de l’organisation ; sans parler de la gestion inconsidérée des ressources humaines dans une église de plus de 2000 personnes. Il y a une dynamique toxique entre les salariés, qui doivent prendre soin des bénévoles et du reste de la congrégation, et le top leadership, dont les intérêts personnels sont directement liés à la croissance de l’organisation.
Ce sont des problématiques auxquelles sont confrontées toutes les organisations. Pour protéger le salarié des abus et de l’exploitation, le droit du travail français a mis en place des mécanismes qui nous sont enviés dans le monde entier. Néanmoins, Hillsong France ayant massivement recours à des “chartes de ministre du culte” à la place de contrats de travail, le droit du travail ne s’applique pas à la politique RH de l’église.
C’est pourquoi, à mon sens, l’argument “c’est comme en entreprise, si tu n’es pas content tu t’en vas” ne tient pas. En entreprise, des dispositifs existent pour que des solutions soient trouvées avant d’en arriver à ces mesures radicales. Nous ne parlons pas de quitter un simple job pour le staff. Nous parlons de quitter un travail, une communauté spirituelle, une “maison” dans laquelle ils sont les “bienvenus” et les bienheureux serviteurs. Nous parlons de quitter une vie.
Y a-t-il des gens qui bénéficient davantage du système que d’autres ? À qui profite le système Hillsong France ? Qui aurait avantage à ce que le système ne change pas ? Je pense que le sujet pourrait faire l’objet d’un livre entier. « Forcément, ceux qui sont en haut de la pyramide en profitent plus que les autres, admet Mardochée, ça ne veut pas dire que ces gens là ne se donnent pas cœur et âme et ne se sacrifient pas pour l’organisation. Et cela dépend de comment le pouvoir est réparti. » On en revient à la structure du pouvoir au sein de la gouvernance de Hillsong France.
« Si le pouvoir était réparti équitablement, je dirais que la gouvernance est équilibrée, envisage l’ex-administrateur, parce que le Conseil d’Administration changerait toutes les X années, parce que le pasteur principal ne serait pas le président de l’association cultuelle. La gouvernance ne serait pas juste légale, elle serait cohérente. Cela mènerait à l’équilibre du pouvoir. »
Le discours de Mardochée me renvoie à une interview que j’ai menée avec Sébastien Fath, universitaire expert du protestantisme évangélique, où il déclairait au sujet des mégaéglises que « le modèle pyramidal ne fonctionne pas. » J’ajouterais que nous sommes en France, un pays où le dialogue social est une valeur fondamentale. Cette exception culturelle au sein du mouvement Hillsong ne peut pas être ignorée par la gouvernance. Le modèle pyramidal ne convient pas à un peuple qui manifeste et se met en grève pour le sport.
Qui conseille le top leadership de Hillsong France ?
Certaines décisions prises par le top leadership m’ont souvent fait froncer les sourcils lorsque j’étais dans l’équipe créative. À l’époque, je ne me posais pas plus de questions à cause de la confiance que j’accordais au top leadership d’avoir le bien être de la congrégation à cœur. J’ai aussi appris à ne pas juger une situation sur laquelle je n’ai pas beaucoup d’information. La situation a bel et bien changé.
Mon enquête a depuis révélé que l’organisation frôlait l’illégalité sur certains points, de droit du travail, notamment. Je ne suspecte pas là des intentions malhonnêtes, mais une incompétence manifeste sur certains sujets, pourtant essentiels dans la vie d’une organisation. Je me suis donc demandée si le top leadership prenait la peine de solliciter des experts pour prendre certaines décisions.
« Nous faisions appel à des cabinets externes et à des membres de la congrégation [sur les questions légales], détaille Mardochée, un ex-membre du Conseil d’Administration avait aussi ce rôle de nous conseiller sur les aspects juridiques, car il travaillait dans un cabinet, sans être lui-même avocat. Une autre personne était aussi très compétente au sein du Conseil d’Aministration, elle avait une forte expérience en business et en gestion RH. Dans sa carrière professionnelle, elle gère une entreprise de 200 personnes. Sur l’aspect RH, elle alertait le top leadership de beaucoup de choses. »
Ces anciens membres du Conseil d’Administration ont depuis quitté la congrégation dans des circonstances inexpliquées. Ils sont toujours très regrettés par ceux avec qui je suis encore en contact au sein de l’église. Pourquoi Hillsong France peine-t-elle à retenir ses meilleurs talents ?
Pour ce qui est des conseillers professionnels, Mardochée ne s’étend pas beaucoup sur leur implication dans la gouvernance de Hillsong France. « Nous étions suivis par un cabinet d’avocats parisien très connu, soutient l’ancien administrateur, avec un département spécialisé dans les associations cultuelles. Ils ont conduit une étude sur notre politique RH, ils nous ont fait un récapitulatif de la jurisprudence sur le sujet. Je suis passé par eux sur la question immobilière et pour préparer notre projet [d’achat, ndlr] et ils ont fait un gros travail de cadrage sur le projet du 13ème Art [le théâtre parisien dont Hillsong France est devenu actionnaire minoritaire, ndlr]. » Dommage que le dit cabinet n’était pas impliqué dans les questions quotidiennes, cela leur aurait sans doute évité bien des soucis.
Elle a bon dos la fameuse “fin d’une saison” !
Au-delà d’être l’un des témoins infortunés et l’un des acteurs clés d’un système parti en vrille, Mardochée a tenté de le réformer, du haut de sa position au top leadership. Si sa démarche semble avoir échoué (puisqu’il ne fait plus partie de la congrégation aujourd’hui et que l’organisation ne semble pas avoir changé de cap), il revient sur son expérience avec philosophie. « J’utilise souvent cette image du puzzle, m’explique-t-il, J’ai constitué un puzzle au fil des années, et quand j’ai fait ce que j’ai fait à la fin, c’est que j’ai considéré que mon puzzle était complet pour prendre ma décision. »
Quand Mardochée a quitté l’organisation Hillsong, il a laissé, comme beaucoup d’entre nous, toute une vie. L’église n’est pas seulement un lieu de rendez-vous le dimanche, il y a travaillé pendant plusieurs années, construit des amitiés profondes, rencontré son épouse, construit sa famille, sacrifié le meilleur de sa vie pour faire grandir la congrégation. L’église était sans doute toute sa vie.
Lorsque vous vous demandez pourquoi nous sommes restés dans cette église si longtemps, en sachant que l’environnement n’était pas sain, imaginez que tout ceci pèse lourdement dans la balance. Le top leadership de Hillsong ne gère pas seulement l’organisation, il gère nos vies. Ce sont nos vies, notre réseau relationnel, notre espace de ressourcement, qui sont en jeu. « Je n’en veux à personne, déclare toutefois Mardochée, je n’ai pas d’amertume » et il me conseille même d’être précautionneuse dans mon enquête : « Hillsong, c’est un sujet qu’il faut traiter, mais il faut trouver le bon équilibre pour que cela n’entache pas d’autres églises. »
Si les circonstances du départ de Mardochée en 2022 apparaissent encore floues pour certains (elles l’étaient un peu pour moi au moment de notre échange), les raisons étaient quant à elles claires comme de l’eau de roche : il n’était plus en accord avec la gouvernance de l’église. « Je te rappelle juste que je ne voulais pas partir, déclare l’ancien membre du staff, on m’a poussé vers la sortie. Ma démarche pour accompagner les responsables [de l’organisation], pointer du doigt les choses que je voulais changer, s’est transformée en conflit. Ils m’ont clairement dit “Tu déranges”. »
Comment écraser tout espoir de sédition
La dissidence est un affront dans la culture d’Hillsong. Les personnes proches du leadership le savent, c’est pourquoi vous entendrez rarement ces gens critiquer trop ouvertement la gouvernance de l’organisation. Le fantôme d’un ancien pasteur, se revendiquant aujourd’hui de Mauvaises Fois, hante parfois les murs du bureau de l’église. Cinq ans plus tôt, le top leadership l’avait décapité pour crime de lèse-majesté. Mardochée ne tarde pas à le mentionner dans notre conversation : « Il a été le premier à identifier ce qui n’allait pas de manière assez pointue et assez directe. Sa relation avec le top leadership était devenue ultra conflictuelle, j’ai dû gérer ça. »
Discuter avec Mardochée me fait réaliser que nous n’avions aucune chance d’amener la gouvernance de l’église à changer de cap. Il illustre les problèmes structurels de l’organisation en joignant les pièces d’un puzzle que les membres de la congrégation considèrent comme des événements singuliers. « Le départ du couple pastoral X (nom anonymisé), l’implosion du ministère de la jeunesse avant et pendant les confinements qui n’a pas été gérée correctement, énumère-t-il, c’est le fruit de ce système. » Si un administrateur, avec tous les pouvoirs que lui confèrent les statuts de l’association cultuelle, n’a pas réussi à changer un système dysfonctionnel, je ne miserai plus sur ceux qui veulent “faire changer l’organisation de l’intérieur”.
Qui est donc responsable ? Qui est véritablement au volant de ce train fou ? « Chacun porte sa part de responsabilité. Il y a l’abuseur, mais il y a aussi celui qui est abusé, qui doit aller chercher de l’aide à l’extérieur, ouvrir les yeux et sortir avant qu’il ne soit trop tard. Certains ont ouvert les yeux trop tard, ce qui a eu pour effet de briser des relations [avec le top leadership]. » Lorsque le train est lancé, pour ne pas foncer dans le mur, il ne reste donc plus qu’à sauter. Malheureusement, il semblerait que ceux qui n’y sont plus, se sont finalement fait éjecter.
“On frôle le mensonge”
Lorsque j’attire son attention sur le fait que beaucoup de gens pensent que Mardochée est parti de son propre chef, il n’est pas surpris. « C’est comme ça que [chaque départ] est communiqué à chaque fois, explique-t-il, Ça été communiqué comme cela pour le pasteur de Mauvaises Fois [en 2018] et pour le départ du couple pastoral X en 2021. »
À ce titre, l’ex-employé rattaché aux ressources humaines me raconte qu’il a toujours veillé à rester factuel lorsqu’il annonçait au reste du staff le départ d’un collègue ; une approche dont Brendan White s’est distancié selon ses dires. « Lorsque l’on a annoncé le départ du couple pastoral X, qui était aussi un simulacre, se souvient Mardochée, j’ai dit à Brendan : “là, la manière dont tu as tourné cette annonce, on frôle le mensonge.” » La formulation apparaît forte dans une culture vernie par l’injonction à positiver. « Je n’ai pas dit qu’il mentait, souligne-t-il, mais tout est habillé à chaque fois. »
Je soupçonnais depuis longtemps l’opacité des discours du top leadership d’être intentionnelle. Mardochée me le confirme : « C’est volontaire, mais je pense que nous sommes dans un schéma où les gens qui se sont engagés sur ce chemin ne peuvent plus s’en sortir tout seul. Sans vouloir leur chercher des excuses, sans aide extérieure, ils ne peuvent pas sortir de ce schéma. »
À l’époque de cet entretien, j’avais davantage espoir que l’organisation Hillsong France puisse se réformer, mais le discours de Mardochée m’a véritablement plombé le moral. Il ne semble pas amer, lorsqu’il me parle, juste lucide. L’évolution de la situation après son départ lui donne plus ou moins raison. « Le fait qu’en 2023, tu viennes me poser des questions, c’est que les choses ne changent pas. Cela confirme ma théorie, cela confirme tout ce que je pense. Je ne suis pas le seul à penser ces choses-là » me lance-t-il.
Quel regard porte Mardochée sur les tentatives de certains membres du staff de faire évoluer l’organisation ? « J’ai envie de dire à ces gens là “mais vous vous mettez le doigt dans l’œil !”, me dit-il calmement, de l’intérieur, personne n’y arrivera, c’est impossible ! Avant moi, des gens ont essayé. Ça a été le cas du pasteur de Mauvaises Fois. Cela a été mon cas. Cela a mené à notre départ. »
Le couple pastoral Y, un élément perturbateur ?
On ne peut plus le cacher, il y a un problème de concentration des pouvoirs au sein de l’organisation Hillsong France. En science politique, on observe que ce genre de système est propice au règne de la loi du plus fort. C’est d’ailleurs la même guillotine, qui a permis à Louis XVI de régner sans partage et qui a mis un point final à sa monarchie absolue. Autrement dit, vous restez sur le trône, jusqu’à ce qu’un challenger parvienne à vous faire tomber.
Le leadership de Brendan White aurait-il donc pu être menacé par l’arrivée d’un autre couple pastoral charismatique ? Nous l’appellerons le couple pastoral “Y”. Certains témoignages m’ont rapporté que l’évolution des Y mettait les pasteurs principaux de Hillsong France dans une posture d’insécurité vis à vis de leur pouvoir. Là où je parle de “pouvoir”, en tant que membre d’un corps qu’on qualifie de “Quatrième pouvoir”, Mardochée, en tant que top exec et homme d’affaires, parle de “liberté managériale” et de “micro-management”.
« Effectivement, avec l’arrivée du couple pastoral Y, j’entendais parfois des gens du staff parler sur cette ligne là, révèle Mardochée, “Quelle est leur ambition ?”, “Jusqu’où veulent-ils aller ?”, mais les Y n’étaient pas là pour ça… Je ne peux d’ailleurs pas parler à leur place. » Le couple pastoral Y a quitté le staff de Hillsong précipitamment après le départ de Mardochée.
Selon ce dernier, « ils ne sont pas partis parce que “Ah, on voulait le pouvoir, on ne l’a pas eu, donc on s’en va !”. Pas du tout ! En revanche, dans leur départ, il y a, d’après moi, la complexité de leur relation avec les pasteurs principaux, et il y a du micromanagement. À la fin c’était même devenu trop compliqué pour eux de faire ce qu’ils étaient venus faire –– développer un campus. C’est un peu comme si on te recrutait pour être directeur créatif et en fait, tu te retrouves à être assistant de production. » Cette illustration propre à mon secteur me parle beaucoup, et m’évoque même une forme de “mise au placard”.
Ce type de comportement de la part des pasteurs principaux, s’il est avéré, témoignerait d’une profonde insécurité. Malheureusement, tout être humain normalement constitué peine à démontrer d’une certaine clarté et d’une certaine sagesse lorsqu’il se sent en insécurité. « C’est un sujet clé, admet Mardochée, Ces gens ont peur, et quand tu as peur, tu fais n’importe quoi. Ils se sont sans doute sentis menacés, ce qui a amené du micro-management. »
Ah bon ? Pourtant Brendan White citait régulièrement le verset suivant : « Il n'y a pas de crainte dans l'amour ; l'amour parfait exclut la crainte. On craint quand on attend une punition et donc, celui qui craint n'aime pas de façon parfaite. » 1 Jean 4:18 (NFC)
Le lourd tribut d’une église mondiale
Les fonctions que Mardochée occupait l’ont amené à réaliser le poids de la structure Hillsong mondial sur les décisions qui sont prises à Hillsong France. Ce poids, le simple membre de la congrégation de Hillsong France n’en prend pas forcément conscience. Il n’en voit que des cultes et des événements adressés à tous les campus à travers le monde.
« Quand on parle de gouvernance, il y a les problématiques locales et les problématiques mondiales, explique Mardochée, la vision mondiale de l’église est le sujet des conversations en premier lieu. Les problématiques locales se contentent d’adapter la vision mondiale au contexte juridique de chaque pays. » Cela explique pourquoi une bonne partie des problèmes que connaîssent les campus d’Hillsong à travers le monde sont très similaires.
C’est aussi la raison pour laquelle il faut s’inquiéter des abus perpétrés par le leadership des campus de Hillsong New York et de Hillsong Sydney. Il y a matière à penser qu’ils sont le mauvais fruit d’une culture mondiale aussi présente en France.
En tant que membres du leadership créatif de l’église, j’ai eu l’opportunité de collaborer sur des cultes spéciaux et mondiaux comme les services Kids, le dimanche de la vision et Un Cœur Pour La Maison, avec mes homologues au sein de campus à l’étranger. Nous constations les mêmes dysfonctionnements et nous nous entraidions pour obtenir les ressources et les informations que le leadership pastoral tardait à nous divulguer.
Pendant le confinement, alors que j’éditais les cultes en ligne, mes homologues à Sydney et Amsterdam se souciaient davantage de mon bien être que mes propres pasteurs parisiens. Ceux-ci se permettaient des changements de dernière minute et des requêtes “urgentes” durant les soirs et week-ends.
J’ai aussi pu passer du temps à Hillsong Sydney pour deux conférences créatives. J’ai même été volontaire dans l’équipe de production audiovisuelle là-bas. J’ai constaté que nos fonctionnements et nos problèmes étaient les mêmes : une structure gangrenée par l’excès d’autorité des pasteurs de campus seniors ; une charge de travail trop lourde sur les épaules de simples volontaires ; des ressources inégalement réparties entre les pasteurs “superstar” salariés de l’église, qui ont leurs accès à la luxueuse green room, et les petites mains bénévoles, aux moyens très modestes, qui se partagent des moitiés de sandwichs triangles pour tenir les journées de service de 12h. Je peux vous dire, avec le recul, elle était belle la culture de l’honneur (sarcasme) !
« Forcément, le fonctionnement de Hillsong France est différent [de celui d’autres églises françaises], admet Mardochée, c’est compliqué de faire une assemblée générale avec des milliers de personnes, donc il y a une volonté de rendre les choses simples à gérer. » C’est Mardochée qui m’a révélé que le fonctionnement de la gouvernance de Hillsong France était verrouillée par la main mise statutaire du pasteur de Hillsong France sur le Conseil d’Administration français (lire l’article : Hillsong France ment-elle à propos de sa gouvernance ?). Certes, cela simplifie les choses, mais cela permet surtout de protéger la souveraineté de Brendan White au sein de l’organisation, et donc, ses intérêts personnels.
L’ancien administrateur d’Hillsong France le reconnait, « aucune organisation n’est parfaite, ni même l’église, mais la seule chose qu’il faut, c’est une bonne gouvernance. Si il y a des erreurs qui sont commises, une bonne gouvernance permet d’en prendre note et d’avoir des vraies conversations, de les corriger et de changer. » Effectivement, je l’ai identifié plusieurs fois dans mon enquête, les travers d’Hillsong à travers le monde, ne sont pas nouveaux. L’organisation internationale semble bloquée dans un cercle vicieux que nul n’a encore pu véritablement briser. Tout le monde ne parvient même pas à le percevoir.
Je ne pense pas que changer de pasteurs principaux puisse régler les problèmes d’Hillsong France, puisque mon entretien avec Mardochée démontre que les problèmes sont structurels. Celui-ci nuance toutefois mon raisonnement : « il y a une responsabilité locale, car tout n’est pas de la responsabilité de Sydney et de la culture globale. Il y a une énorme distance avec ces gens [de la maison-mère, ndlr] et le pasteur principal à énormément d’autonomie et de liberté. »
Avant de partir, Mardochée avait toutefois tenté, lui aussi, d’alerter Hillsong Sydney sur certains abus. « Ils m’ont dit qu’ils n’étaient pas au courant de ce qu’il se passait en France. Comment peuvent-ils savoir ? Dans leur système, une seule voix compte pour eux, c’est celle du pasteur principal du pays. S’il n’y a que lui qui fait des rapports, même si 15 personnes quittent le staff, il peut leur raconter que tout va bien, le ciel est bleu et le soleil brille. » C’est sans doute pour cela que Phil Dooley, pasteur mondial de Hillsong, écrit dans son dernier rapport de gouvernance que tout se passe bien à Hillsong France malgré ses échanges de mails avec Zachée, notre lanceur d’alerte national.
Rester au staff aurait-il pu changer quelque chose ?
Comme beaucoup de personnes qui se sont lancées dans le projet de réformer le système, Mardochée argumente que le changement prend du temps. Aurions-nous vu la couleur de ces changements dans un délai satisfaisant ? Avant que trop de personnes ne soient broyées par le système Hillsong ? Selon lui : oui et non.
Impossible de nier que la politique RH de Hillsong France a progressé sur un certain nombre de choses, Mardochée est en mesure de nous lister plusieurs éléments positifs et encourageants. « On aurait pu entériner une grille de rémunération, on aurait pu poursuivre ces évolutions salariales, on aurait pu améliorer tout ça, déclare-t-il, mais pas pour tout ! La question des salaires devait forcément être traitée parce qu’on parle de gens qui travaillent. »
À ce jour, Mardochée ne bénéficie plus du système. Il n’en tire aucun privilège. Quel regard porte-t-il désormais sur la structure du pouvoir de l’organisation ? « Je ne suis pas contre le système pyramidal, confie-t-il, tout le monde fait des sacrifices à tous les niveaux. Cependant, le sacrifice n’est plus le même quand tu es installé dans un poste. Pour moi, cela devient du fonctionnariat : à un moment donné, tu positionnes les gens et ils deviennent des fonctionnaires. Hillsong leur donne une étiquette et ça devient leur rôle pour le reste de leur vie. »
Cela me fait sourire. Un tel fonctionnement est incompatible avec la succession des saisons, que l’on aime tellement mettre en avant dans les discours de leadership. Ce n’est plus aussi vrai depuis les changements que met en place la maison-mère, et dont nous n’avons pas vu la couleur à Hillsong France.
Le leadership de la maison-mère a été contraint de se renouveler, tandis que la famille White règne sur Hillsong France depuis plus de 15 ans. « Je pars du principe que les gens ont une bonne intention jusqu’à preuve du contraire, tempère Mardochée, Brian et Bobbie Houston ont de bonnes intentions. Brendan et Camille White ont de bonnes intentions. L’enjeu c’est la gouvernance : quand tu fais des erreurs, la gouvernance doit s’y intéresser et creuser. »
En conclusion
Lorsque je demande à l’ancien administrateur de Hillsong France ce qu’il ne faut pas manquer pour comprendre les rouages de l’organisation, il met l’accent sur le fonctionnement de l’assemblée générale des membres adhérents, que je détaille ici.
Le départ de Mardochée a été presque immédiatement suivi par une vague massive de départs au sein du staff. Difficile de ne pas se demander s’il y a un lien. J’ai moi-même écouté les staff meetings qui ont fait office de damage control. L’annonce a fait l’effet d’une bombe au staff, qui était déjà profondément démoralisé.
La réunion n’a pas dû être agréable pour les membres du Conseil d’Administration présents, puisque je me souviens que les questionnements, bien que toujours polis, ont été véhéments. Il faut dire que les explications de Brendan White sur le départ de Mardochée étaient pour le moins vaseuses (selon moi). La semaine suivante, c’est Gabriel Gimenez qui a pris les rennes de la réunion hebdomadaire.
J’ai été marquée par sa prise de parole. Le pasteur de Hillsong Massy a tenté de communiquer à toute l’équipe que le récit selon lequel Mardochée essayait d’opérer des changements positifs au sein de l’organisation, et a été évincé pour cette même raison, était faux. Mentionner cela, alors qu’il n’était accusé de rien, met le Conseil d’Administration dans une posture défensive et laissait entendre que le top leadership avait quelque chose à se reprocher. D’autant plus que lorsque vous êtes pasteur et que votre équipe est sous le choc, votre rôle n’est pas de faire de la communication de crise, mais de “pastorer”. Ce n’est que mon humble avis.
Mardochée aura-t-il été un martyr ou un prophète ? Était-il une brebis ou était-il un loup ? J’imagine que seule l’Histoire nous le dira.
De mon côté, mon puzzle continue de prendre forme et commence à ressembler à un cautionary tale, une fable de mise en garde, pour toutes les organisations religieuses qui aspirent à influencer les masses.
Excelsior,
Tiavina Kleber