Hillsong France veut “aller plus loin” dans l’implication des membres de l’église
De quels membres parle-t-on du coup ? Ceux qui votent avec leurs pieds ou les membres adhérents de l’association cultuelle ?
La création d’un “comité d’experts” a été l’une des mesures annoncées par le Conseil d’Administration au début de cet été pour amener plus d’efficacité dans la gouvernance de l’église. Pleine de bonnes intentions, cette idée qui ne semble pas avoir été mise en œuvre encore à ce jour, présente toutefois des questionnements devenus récurrents dans le fonctionnement de l’organisation. Décryptage (d’une intervention de 10 minutes).
Au sommaire de cette analyse de la gouvernance de l’église Hillsong France, où nous continuons le décryptage du rassemblement Cœur & Âme :
Les arguments d’autorité ont la vie dure
Une démarche pour le moins inquiétante
Où est l’argent?
Comment prendre à la légère les autorités qui nous gouvernent
Qui rejoindra le comité d’expert et quel poids aura-t-il vraiment ?
L’effet d’annonce a été bien accueilli à ce rassemblement “Cœur & Âme” du début de l’été. Après avoir expliqué en quelques minutes le système de gouvernance de façon obscure aux personnes les plus investies de la congrégation, Gabriel Gimenez, membre du Conseil d’Administration de Hillsong France conclut avec une promesse : « L’église veut aller plus loin dans l’implication de ses membres » dans la gouvernance de l’église. Il passe ensuite le micro à un autre membre du Conseil d’Administration, Jean-Louis Traoré, pour détailler brièvement cette nouvelle proposition.
Mes lecteurs savent depuis la semaine dernière que les gens qui appellent Hillsong France leur maison n’ont pas véritablement de contrôle sur leur organisation. Ils ne peuvent que prier que les choses se passent bien et que le meilleur est encore à venir. Les premiers résultats du questionnaire anonyme que j’ai fait circuler montrent que beaucoup sont partis car ils ne se sentaient pas écoutés. Gardez en tête mon illustration sur la manette de Playstation lorsque nous décortiquons cette annonce, mais la direction entend donc répondre à ce sentiment.
Les arguments d’autorité ont la vie dure
Jean-Louis Traoré est quelqu’un qui inspire la confiance au sein de la congrégation de Hillsong Paris. Je n’ai jamais entendu de réserve ou de parole négative à son propos. La plupart des gens que je connais l’estiment comme quelqu’un de doué d’une grande sagesse. Si l’année passée, le départ de deux membres du Conseil d’Administration, deux figures fortes de la congrégation, en a inquiété plus d’un. Désigner Jean-Louis Traoré comme la relève apparaît comme une décision politique prise pour rassurer.
Lui-même consultant, Jean-Louis Traoré présente devant l’église la création d’un comité d’experts et cite Exode 31 comme base textuelle pour cette nouveauté. Qui suis-je pour questionner l’autorité et la sagesse de la Bible ? Bien qu’il soit essentiel que la gouvernance de l’église en tienne compte, j’ai toujours un peu peur de ce qui va suivre lorsqu’on commence par citer un verset pour emporter l’adhésion de l’assemblée.
En école de journalisme, on vous apprend que lorsque quelqu’un s’adresse en premier à vos affects plutôt qu’à votre intellect, c’est souvent le signe qu’il faut faire attention aux éléments de langage que la personne va utiliser. « Le comité d’experts va accompagner le travail opérationnel et le staff en tant qu’experts conseil, sur plusieurs thématiques concrètes » explique le membre du Conseil d’Administration. Les thématiques qu’il finit par détailler dessinent les priorités de la direction pour la saison à venir.
Une démarche pour le moins inquiétante
Le comité d’experts devrait donc accompagner la gouvernance de l’église dans trois sphères clés de la gouvernance :
les ressources humaines
la veille juridique
le projet immobilier de l’église
J’ai déjà souligné dans mes précédents articles que ces trois éléments étaient aussi des points de tension dans la gouvernance de l’église, sur lesquels le top leadership n’avait pas réussi à convaincre son propre staff. Bien qu’il soit encourageant que le Conseil d’Administration ait décidé de les prioriser (cela signifie que le Conseil n’est pas aveugle), je suis inquiète de voir que ces priorités soient confiées à des bénévoles et ne fasse pas l’objet d’un véritable investissement.
Si, comme nous l’avons vu, Hillsong France souhaite se comporter comme une entreprise, elle devrait au moins valoriser ce type d’expertise, telle une entreprise. Dans d’autres grandes organisations, ces sphères représentent un si grand enjeu qu’elles font l'objet de départements entiers dotés de budgets conséquents (si elles ne sont pas externalisées auprès de grands cabinets spécialisés).
Vous pouvez atteindre la productivité maximale et un rythme de croissance exponentiel : une gestion bancale des ressources humaines, un procès, une sanction administrative ou un mauvais investissement peut causer l’effondrement de votre organisation. Ne pas considérer ces sphères au cœur de votre stratégie d’organisation revient à construire une maison sur le sable.
“Où est l’argent ?”
« Les ressources sont limitées, rappelle Jean-Louis Traoré, on aurait voulu embaucher encore plus de monde, mais ce n’est pas possible. Du coup, le Seigneur nous a mis à cœur de chercher des personnes qualifiées. On a forcément besoin de l’expertise du plus grand nombre. Ils seront engagés dans des projets structurels. »
Laissez-moi reformuler ceci en mettant de côté les éléments de langage évangélique : « Dans la gestion des finances de l’église, nous n’avons pas trouvé pertinent de dégager un budget pour traiter ces trois axes que nous venons de vous présenter comme des priorités. Nous avons besoin de cette expertise, mais nous ne sommes pas prêts à la valoriser avec les moyens qu’elle nécessite. Nous sommes le Conseil d’Administration, choisis et guidés par Dieu pour occuper cette fonction, faites-nous confiance. »
Sur ce coup, je ne veux pas accuser le Conseil d’Administration d’être malhonnête, cette stratégie est un choix, mais c’est un choix quelque peu irresponsable. Comme le souligne Jean-Louis Traoré, « nous avons atteint une taille critique dans l’église », donc l’organisation Hillsong France peut-elle encore se permettre de ne pas professionnaliser davantage les ressources humaines, les questions juridiques et les investissements de l’organisation ?
Les finances de Hillsong France semblent encore en bonne santé malgré la baisse des dons réguliers (c’est ce que dit le Conseil d’Administration durant la soirée Cœur et Âme). Cela risque de ne pas durer si les ressources financières ne sont pas utilisées pour consolider les fondations de l’organisation.
Certes, l’église n’est pas encore propriétaire de locaux, mais c’est bien cela qui l’a sauvée pendant les confinements. Contrairement à la Maison-mère, malgré les fermetures, Hillsong France n’a pas eu à payer de loyer ou de prêt immobilier lorsque le monde était confiné. Elle n’a pas eu à procéder à des licenciements économiques pour maintenir la santé de ses finances. Et quand bien même, de nombreux employés ont choisi de partir, sans que l’organisation ne les ait remplacés.
Les ressources humaines de l’organisation sont manifestement encore en crise en 2023. Nous voyons le staff se réduire à peau de chagrin. Les doléances des employés fatigués et déçus ne sont pas toujours écoutées. Certains ex-employés témoignent de faits de harcèlement moral. Ces allégations n’ont toujours pas été adressées. Le département de la Créative ne tient plus qu’à un fil, et c’est pourtant la communication interne et externe qui devrait être privilégiée pour redonner confiance en l’organisation. Comment Hillsong France compte-t-elle lever des fonds, s’il n’y a un jour plus de communicant au sein du staff ?
Comment prendre à la légère les autorités qui nous gouvernent
« Les lois qui sont votées peuvent affecter directement l’église, donc il faut pouvoir sécuriser l’organisation » déclare Jean-Louis Traoré pour justifier le besoin d’experts sur les questions légales et juridiques. Amen to that ! Je l’ai relevé à plusieurs reprises, mais l’entrée en vigueur de la loi séparatisme en 2022 aurait dû affecter fondamentalement la gouvernance de l’église. De la même manière, de nombreux employés et ex-employés du staff relèvent des incohérences et des irrégularités dans leur contrat et le traitement du personnel au sein de l’organisation. Comment l’association cultuelle ne peut-elle pas avoir de juriste pour s’assurer qu’elle se positionne toujours en conformité avec le droit français ?
Comment Jean-Louis Traoré, lui-même consultant, peut-il trouver normal que le recours à du conseil juridique soit considéré comme un service bénévole fourni par un membre de la congrégation. « N’étant pas des experts, nous faisons parfois des erreurs » relève Traoré. Je suis d’accord ! L’erreur est humaine. Néanmoins si une erreur peut causer une sanction de l’organisation par les autorités publiques, peut-être que le service que vous demandez est une responsabilité trop lourde à faire porter à des bénévoles, aussi experts soient-ils.
J’insiste à nouveau sur la nécessité de protéger le staff de potentiels abus dans l’exercice de leur mission. L’usage à outrance des chartes de ministre du culte, le mécontentement de beaucoup vis-à-vis de leur traitement au sein du staff, les allégations de favoritisme et de conflits d’intérêt ; tout cela ne sont pas les faits d’une seule personne, mais les contours d’une culture abusive permise par un certain cadre. Comme je vous le disais : remplacer Killmonger par T'Challa à la tête de Hillsong Wakanda ne réglerait rien et aboutirait même résultat. Structurer davantage le service des ressources humaines et le soumettre à un service juridique compétent devrait faire l’objet d’un investissement sérieux et durable.
Qui rejoindra le comité d’expert et quel poids aura-t-il vraiment ?
Imaginons toutefois l’hypothèse que Dieu ait ajouté à la congrégation d’Hillsong France les personnes les plus compétentes du monde pour traiter tous les problèmes de l’organisation. Admettons que les Bezalel et les Uri que Dieu a envoyés soient toujours dans la maison et qu’ils ne soient pas partis en courant. Comment les membres du comité d’experts seront-ils choisis ? Selon quels critères ?
Sur scène, Jean-Louis Traoré invite tous les membres de la congrégation qui se sentent qualifiés à rejoindre le comité d’experts à postuler par email. Il précise qu’évidemment, le Conseil d’Administration ne pourra pas donner suite à toutes les sollicitations, mais il prie « que le Seigneur puisse les orienter vers les bonnes personnes. » Encore un argument d’autorité, puisque personne ne peut questionner les choix de Dieu ; des critères plus objectifs auraient pu être énumérés comme les diplômes, l’expérience professionnelle, ou des propositions concrètes de la part du candidat.
Je pourrais dire que ma démarche est orientée par Dieu et inspirée du Saint-Esprit, cela ne devrait pas vous empêcher d’être critique vis-à-vis de ce que je publie. J’espère que vous resterez toujours critique vis à vis de ce que je publie.
D’autant plus que nous avons mis en lumière dans la structure de gouvernance de l’église que le pasteur de campus concentre beaucoup de pouvoir et peut ne pas tenir compte du comité d’experts. Jean-Louis Traoré n’a pas été clair sur les pouvoirs exécutifs du comité. Il peut donner son expertise et être ignoré par le top leadership. Après tout, l’organisation Hillsong France a déjà vu deux membres de son Conseil d’Administration, la plus haute autorité de l’association cultuelle, quitter le navire car ils ne pensaient pas pouvoir faire évoluer la gouvernance de l’église. Pensez aux résolutions de l’ONU, dont les experts produisent des rapports riches et détaillés, mais qui reste ignorées par des pays belliqueux sans qu’on ne puisse faire quoi que ce soit.
Tout ça pour vous dire à nouveau que les intentions peuvent être honorables, louables, honnêtes, elles ne signifient rien si elles ne sont pas mise en action. Comme l’a écrit un jour un de mes auteurs favoris : « Je ne peux pas croire ce que vous dites, parce que je vois ce que vous faites » James Baldwin.
Excelsior,
Tiavina Kleber