La contre-culture du Royaume est incarnée par l’Église qui résiste, pas par Charlie Kirk
D’après une interview du révérend Michael Woolf publiée par The Contrarian.

Arrêté lors d’une prière devant le centre ICE de Broadview, le révérend Michael Woolf dénonce une « urgence spirituelle » et affirme que « Jésus est enfermé à Broadview ». Son témoignage révèle une autre contre-culture chrétienne : celle d’une Église qui protège ses prochains et résiste à la violence d’État.
Au sommaire de cet article :
Un état d’urgence spirituelle
Une prière interrompue par la police
Des accusations dérisoires, un silence politique
« Pour moi, c’est comme si Jésus était enfermé à Broadview »
« Ce n’est pas parce que des pasteurs donnent des coups »
Une Église qui agit, pas qui se met en scène
La lettre de Birmingham en filigrane
Le 14 novembre, devant un centre de détention migratoire aux abords de Chicago, le révérend Michael Woolf a été tiré d’un groupe de prière, plaqué au sol et menotté. Rien n’indiquait un trouble. Rien ne ressemblait à une émeute.
Woolf priait.
Pour les lecteurs français, Broadview est un lieu tristement connu aux États-Unis : un centre de détention géré par l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), l’agence fédérale chargée des expulsions. Depuis plusieurs années, des procédures judiciaires dénoncent les conditions inhumaines de ces centres (accès limité à l’eau, absence de soins, manque d’hygiène, privation de produits essentiels, notamment menstruels). À Broadview, un juge fédéral a récemment dû intervenir pour contraindre l’administration à fournir des conditions minimales de dignité.
C’est devant ce bâtiment que Woolf a été arrêté.
Et c’est là que se joue, pour lui, quelque chose d’essentiel.
« Nous sommes face à une urgence spirituelle »
Dans une interview donnée à The Contrarian, le révérend ne parle jamais de politique partisane. Il parle de responsabilité morale.
« Nous sommes face à une urgence spirituelle », dit-il.
Les témoignages venus de l’intérieur (« pas assez d’eau », « toilettes bouchées », « absence d’accès à un avocat ») l’ont amené à constater que « ce qui se passe ici, c’est de la torture ».
Dans le discours religieux français, l’expression « urgence spirituelle » n’est pas courante. Aux États-Unis, elle renvoie à une tradition de théologie publique, héritée notamment du mouvement des droits civiques : la conviction que la foi a quelque chose à dire (et à faire) lorsque la dignité humaine est bafouée.
Une prière interrompue par la police
Woolf participait à un service de prière devant le centre. Le groupe a voulu se rapprocher du bâtiment, placé loin derrière une « zone du Premier Amendement » où les manifestants sont généralement confinés. Aux États-Unis, il s’agit d’espaces où les autorités cantonnent les protestataires, souvent à une distance telle que leur action devient symbolique mais inaudible.
« Nous voulions que les gens là-bas sachent qu’on ne les a pas oubliés », explique Woolf.
La réponse policière a été immédiate.
Un chef de police a pointé du doigt le pasteur : « Lui, il part. »
Quelques secondes plus tard, Woolf était au sol : « Avec ce col romain, je ne représentais absolument aucune menace. Je suis un être humain très doux. »
Des charges dérisoires, une contradiction politique
Le pasteur fait désormais face à plusieurs accusations : désordre, résistance et même « marche sur la route ».
Il appelle les autorités publiques à les retirer :
« Le gouverneur et le procureur général peuvent le faire n’importe quand. »
Le gouverneur de l’Illinois s’est publiquement opposé aux politiques migratoires fédérales, mais les forces de police de l’État répriment des manifestations non violentes.
Woolf le résume ainsi :
« J’aime ce que le gouverneur dit. Je n’aime pas ce qu’il fait. »
« Pour moi, c’est comme si Jésus était enfermé à Broadview »
La conviction centrale de Woolf repose sur Matthieu 25 (NFC) :
« Chaque fois que vous avez fait cela au plus petit de mes frères et sœurs, c’est à moi que vous l’avez fait. »
Il l’explique sans détour :
« Les personnes les plus vulnérables sont là où Dieu est. Ce que nous faisons ou refusons de faire pour elles, nous le faisons ou refusons de le faire à Jésus. »
Et il ajoute :
« Pour moi, c’est comme si Jésus était enfermé à Broadview. » Woolf insiste sur l’identification directe : le Christ est présent dans les corps que l’État enferme.
Ce n’est pas une analogie :
« Si je ne me bats pas pour que ces gens soient libérés, alors je ne me bats pas pour Jésus. Je n’ai pas vraiment le choix, comme personne de foi. »
« Ce n’est pas parce que des pasteurs donnent des coups »
Après son arrestation, certaines autorités ont parlé de « violences » lors des rassemblements. Woolf répond calmement :
« Si des policiers ont été blessés, je leur souhaite un prompt rétablissement. Mais il faut envisager que cela puisse venir de tactiques inappropriées. Quand on pousse, quand on utilise des matraques, quand on frappe dans la poitrine… il peut y avoir des blessés. Mais ce n’est pas parce que des pasteurs donnent des coups. »
Pour des lecteurs européens, cette défense peut rappeler combien les mobilisations religieuses américaines ne sont pas monolithiques. Une part importante du clergé s’oppose à la violence d’État, en héritiers explicites du mouvement des droits civiques.
Une Église qui agit, pas une Église identitaire
Woolf est pasteur à Lake Street Church, une Église baptiste progressiste.
Elle est « communauté de sanctuaire » depuis plus de dix ans :
« Une famille menacée d’expulsion y vit encore aujourd’hui », dit-il.
Dans un pays où la religion est souvent instrumentalisée politiquement, cette Église s’inscrit dans une tradition de protection concrète, qui n’est pas sans rappeler aux lecteurs français les mouvements d’hospitalité envers les sans-papiers.
La lettre de Birmingham en filigrane
Woolf ne cite pas Martin Luther King.
Mais tout, dans sa posture, fait écho à la Letter from Birmingham Jail (1963).
King écrivait :
« L’injustice où qu’elle existe est une menace pour la justice partout. »
Et encore :
« Je suis à Birmingham parce que l’injustice est ici. »
Woolf, lui, dit :
« Pour moi, c’est comme si Jésus était enfermé à Broadview. »
Et :
« Je n’ai pas le choix que d’être présent. »
MLK écrivait que l’Église devait être « la conscience de la nation », pas son ornement.
Woolf, jeté au sol pour une prière, rappelle que cette conscience ne vit pas dans les déclarations, mais dans les corps qui s’interposent entre la souffrance et l’indifférence.
Dans l’Amérique d’aujourd’hui comme dans le Birmingham de 1963, la contre-culture chrétienne ne se proclame pas :
elle se met en travers.
Elle refuse d’abandonner son prochain.
L’Église ne mène pas une guerre culturelle contre le monde : elle traverse une lutte intérieure pour rester capable d’incarner la miséricorde.
Ce n’est pas l’autre qui est en jeu, c’est notre fidélité à notre prochain.
Il est temps de se réveiller.
Excelsior,
Tiavina Kleber


