Pourquoi devons-nous toujours nous inquiéter pour nos pasteurs de mégachurch ?
Le média scientifique The Conversation vient de publier un article sur Hillsong qui mériterait d'être lu par toutes les grandes églises en France
L’article que je publie aujourd’hui a été rédigé par Rosie Clare Shorter, chercheuse universitaire pour le media The Conversion. J’ai décidé de vous le traduire et de vous le partager ci-dessous pour nourrir votre perspective sur les modèles des mégaéglises. Il s’agit de réfléchir à la manière dont nous prenons soin de nos pasteurs. Evidemment, l’article parle de Brian Houston, mais ceux qui ont vu l’envers du décor à Hillsong France verront dans cette article, quelques similarités troublantes avec le fonctionnement de la gouvernance de leur église.
Comment raconter l'histoire de Hillsong ? Où l’on apprend que les intérêts financiers de Hillsong convergent avec ceux d’une grosse entreprise australienne
“Aller dans une autre église !” une citation attribuée à Brian Houston qui résonne avec celle de Gabriel Gimenez : “dans notre église, on vote avec nos pieds”
Le pasteur et le politicien un paragraphe sur les intérêts convergents entre le pentecôtisme et l’idéologie néolibérale (donc on devrait s’inquiété du rapprochement de Vincent Bolloré avec les mouvements évangéliques)
Un modèle familier : je n’arrête pas de vous le dire, le problème ce n’est pas une personne, mais la forme de gouvernance choisie par une église
Qui s’en soucie ? Je vous pose la question.
Qui prends soin d’hommes comme Brian Houston ? L’ascension et la chute du leader de Hillsong est une histoire passionnante, mais comment a-t-elle pu se produire ?
Hillsong a été créée en 1983 par Brian et Bobbie Houston sous le nom de "The Hills Christian Life Centre", un centre de vie chrétienne "résolument fonctionnel, voire miteux", situé dans la banlieue de Sydney. Devenue l'une des mégaéglises pentecôtistes les plus connues d'Australie, elle compte des congrégations et des campus dans le monde entier.
Ces dernières années, le monarque improbable Brian Houston a attiré l'attention du public en révélant son amitié avec Scott Morrison, qui fréquentait régulièrement l'église Horizon, fondée par un ancien pasteur de Hillsong, avant de devenir premier ministre australien. Néanmoins, Houston a démissionné en mars de l'année dernière, après des allégations de conduite inappropriée "très préoccupante" avec deux femmes. Le même mois, le Parlement australien a accusé Hillsong de "fraude", “blanchiement d’argent” et “évasion fiscale”. En août dernier, Brian Houston a été déclaré non coupable d'avoir couvert des abus sexuels commis par son père Frank, qu'il a décrit comme un "pédophile en série". (Le tribunal a accepté la défense de Brian Houston selon laquelle la victime de son père lui avait demandé de ne pas porter plainte à la police).
Au cours des deux dernières années, deux séries documentaires en quatre parties, un podcast et un documentaire de SBS ont été consacrés à Hillsong. Aujourd'hui, David Hardaker, journaliste à Crikey, raconte l'histoire de Hillsong dans son nouveau livre, “Mine is the Kingdom”.
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Comment raconter l'histoire de Hillsong ?
Comment Hillsong en est-elle venu à dominer le pentecôtisme australien et, plus largement, le christianisme australien ? Dans les années 1990 et 2000, Hillsong a attiré les foules et l'attention : l’église était jeune, dynamique et populaire. Jusqu'en 2016 au moins, les églises pentecôtistes étaient en croissance, tandis que les autres églises chrétiennes étaient en déclin.
David Hardaker raconte l'histoire de Hillsong en retraçant le ministère de Brian Houston au travers d’un récit "d'ascension et de chute", dans lequel le succès et l'échec de Hillsong et de Houston ne font qu'un. Pour l’auteur, "Hillsong était Houston”, et “Houston était Hillsong". Il s'agissait d'une concentration de gloire et de pouvoir qui n'était pas compatible avec les confessions chrétiennes traditionnelles.
Il commence par dépeindre Brian Houston comme un garçon néo-zélandais qui "a hérité du nom de son père, prédicateur néo-zélandais de premier plan, mais pas d'une grande richesse". Les Houston ont déménagé à Sydney dans les années 1970 après que Frank Houston ait reçu "une photo de Sydney, en Australie" et un message divin lui demandant de fonder une église dans cette ville.
Le journaliste australien présente Frank et Brian Houston comme des "outsiders" qui "se sont hissés au sommet du mouvement des Assemblées de Dieu en Australie". Il documente ensuite les premières contributions d'autres acteurs clés, en s'appuyant sur un mélange de sources d'information, de documentaires et d'interviews réalisées pour le livre.
Hillsong est connue pour sa musique. Bien que la production musicale ne soit pas au cœur du livre, un chapitre commence avec l'ancien pasteur de l’équipe créative Geoff Bullock, qui a quitté son poste à l'ABC à la fin des années 1980 pour travailler pour Hillsong.
Ce chapitre présente également Nabi Saleh, ancien copropriétaire de la chaîne de cafés Gloria Jeans, décrit comme un donateur "fabuleusement riche" et un conseiller clé de Houston. David Hardaker montre comment les intérêts commerciaux de Gloria Jeans et de Hillsong étaient souvent "symbiotiques", avec des cafés sur les campus des églises Hillsong et des franchises Gloria Jeans appartenant à des fidèles de Hillsong (qui reversaient la dîme ou des dons à l'église).
Le livre explique comment Saleh a entretenu des relations avec des prédicateurs évangéliques américains de premier plan, dont deux, Casey Treat et Rick Godwin (également auteurs et conférenciers), ont été "parmi les plus influents" dans la vie de Houston.
“Aller dans une autre église !”
Dans la seconde moitié du livre, David Hardaker aborde les "péchés du fils". Il commence par évoquer un incident survenu en 2019, lorsque Houston a passé 40 minutes dans une chambre d'hôtel avec une femme "connue de Houston comme un soutien financier de l'église".
Peu de détails sont connus sur cet incident, et Hillsong a déclaré que Houston ne se souvient pas de ce qui s'est passé dans la chambre, car il était sous l'influence de l'alcool et prenait des médicaments contre l'anxiété.
L’auteur insiste également sur la mauvaise gestion des plaintes déposées par Anna Crenshaw, qui a été agressée par Jason Mays, un administrateur et chanteur bénévole de Hillsong, lors d'une fête en 2016. Elle avait 18 ans. Elle affirme que Hillsong n'a pris sa plainte au sérieux et n'a prévenu la police que lorsque son père, un influent pasteur américain, a poussé les dirigeants de l'église à agir. Hardaker décrit cela comme le début du "mouvement #MeToo de Hillsong”.
David Hardaker rapporte qu'une jeune femme, Helen Smith, a déclaré après l'incident de Crenshaw : "Je n'étais pas sûre d'être d'accord pour emmener mes enfants à l'église. Je ne considérais plus l'église comme un lieu sûr pour moi ou mes enfants. La façon dont ils traitent les allégations graves montre qu'ils se croient au-dessus de la loi.” En documentant ces témoignages, Hardaker est convaincant, tout en résistant largement au sensationnalisme.
Dans le chapitre suivant, le journaliste nous ramène en 1995. Il décrit l'épuisement des équipes de musique et de production bénévoles. Bullock se souvient avoir dit à Houston : "Écoute, si on continue comme ça, ça va péter".
"C'était un foyer spirituel pour eux et ils travaillaient comme des chiens", se souvient le pasteur de l’équipe créative. Houston ne s'en est apparemment guère soucié, rembarrant Bullock en disant : "vous n'êtes pas un représentant syndical [...] s'ils n'aiment pas ça [...] allez dans une autre église".
La réponse de Houston est certainement insensible. Pourtant, les églises s'appuient généralement sur une main-d'œuvre bénévole et Hillsong n'est pas différente en ce sens. Comme le note l’auteur, "la musique de Hillsong avait pris son essor dans le monde entier et était appelée à devenir la mine d'or qui financerait l'expansion de l'église".
Le pasteur et le politicien
Hardaker parle du rêve de Brian Houston comme d'un "monde au-delà des frontières, où Hillsong et le christianisme pentecôtiste régneraient". Le pasteur, qui "régnait en maître" en tant que "homme d’affaires" pour Jésus, est décrit tout au long de l'ouvrage à l'aide d'illustration autour du pouvoir monarchique, du marketing et du spectacle.
Le livre de Hardaker s'intéresse également à une autre histoire d’ascension et de chute, en comparant le parcours de Brian Houston à celui de Scott Morrison, qu'il s'efforce de "décrypter". Le premier chapitre met en place ce double récit en racontant le moment où "les deux hommes - le pasteur et le politicien - ont prié ensemble sur scène", lors de la conférence Hillsong de 2019. "Tous deux, à ce moment-là, étaient au sommet de leur puissance".
La convergence des théologies pentecôtistes et des idéologies néolibérales est inscrite dans le texte, mais n'est pas suffisamment explorée. Dès le début, Hardaker utilise le refrain souvent répété par Morrison, "si tu a le feu vert, tu auras le feu vert", pour introduire le concept de l'enseignement de la prospérité et donner de la perspective sur la richesse des Houston et de Hillsong. À savoir : comme le montre l'histoire de Brian Houston, tout est possible si l'on a l'esprit de répandre la parole de Jésus-Christ. Si vous vous y mettiez, vous serez certainement couronné de succès - et un succès donné par Dieu en plus.
Le journaliste explique que dans l'enseignement de la prospérité, le mot "bénédiction" signifie manifestement "bénédiction matérielle". Il repose sur une interprétation de la Bible selon laquelle le Christ a vécu dans la pauvreté pendant son séjour sur terre, afin que nous puissions vivre épanouis et être libérés de la malédiction de la pauvreté. Si nous ne réclamions pas les bénédictions qui nous reviennent de droit en tant qu'enfants de Dieu, nous gaspillions la vie de pauvreté que le Christ avait menée.
Cette enseignement est dangereux. Hardaker note à juste titre qu'elle "a pour effet de diaboliser les pauvres : si vous êtes riche parce que vous croyez en Dieu, le revers de la médaille est que vous êtes pauvre parce que vous manquez de foi". La pénétration du pentecôtisme dans la politique de Morrison apparaît comme une question clé. L’auteur affirme : “d'une certaine manière, le pentecôtisme de prospérité de Houston est si parfaitement imbriqué dans la pensée néolibérale qu'il est difficile de dire où s'arrête la religion et où commence la politique.”
Bien que les Australiens aient tendance à se sentir mal à l'aise lorsqu'ils voient la religion s'immiscer dans la vie publique, le christianisme y prend part depuis longtemps — par le biais de la politique, de l'éducation, des œuvres caritatives et de l'aide sociale de l'Église.
Les dirigeants pentecôtistes et les églises qui incarnent les valeurs néolibérales de l'individualisme, de la concurrence, de la valeur marchande et du mérite ne se contentent pas d'influencer la politique — ils incarnent des positions néolibérales.
Alors que les pasteurs et les politiciens continuent à "s’élever” et à “chuter", nous devons nous pencher sur les systèmes et les cultures qui les rendent possibles.
Un modèle familier
Brian Houston n'est pas le premier dirigeant évangélique à tomber de son piédestal. Hardaker nous rappelle que d'autres pasteurs mondiaux dont Brian Houston était proche sont tombés en disgrâce bien avant lui.
L’auteur illustre un "schéma familier". En Corée du Sud, David Yonggi Cho a détourné des fonds de l'Église. Aux États-Unis, Jim Bakker a été reconnu coupable d'agression sexuelle sur un membre du personnel de l'église et de fraude.
"Les récits d'ascension et de chute nous font pénétrer dans la vie de dirigeants puissants et montrent comment les mondes qu'ils ont créés s'effondrent de manière spectaculaire. En tant qu'observateurs extérieurs, les drames personnels font partie de l'attrait de ces histoires.”
Le problème ? Ces récits présentent ces dirigeants autrefois puissants comme la source des problèmes. Si seulement nous pouvions nous débarrasser de ces personnes, les églises (et les parlements) pourraient être des lieux plus sûrs et plus sains ! C'est une idée séduisante.
Cependant, nous ne devons pas nous contenter d'analyser les actions de tel ou tel dirigeant d'église. Nous devons nous demander quel type de système permet aux abus de pouvoir de se produire encore et encore.
Dans son analyse de la méga-église américaine Mars Hill, aujourd'hui dissoute, l'anthropologue Jessica Johnson affirme que nous ne devrions pas considérer les abus d'autorité spirituelle comme des actes isolés de quelques hommes mauvais : les soit-disant “pommes pourries”. Nous devons plutôt nous intéresser aux réseaux et aux systèmes qui soutiennent et produisent le type de leadership hiérarchique que les paroissiens ne se sentent pas en sécurité de remettre en question.
Si nous voulons une église Hillsong plus saine, nous ne pouvons pas nous contenter de regarder Brian Houston. Bien qu'il ait été le fondateur et le visage du mouvement, le mouvement est plus grand que lui.
Qui s'en soucie ?
Tout au long du livre, David Hardaker souligne l'absence de responsabilité institutionnelle pour expliquer à la fois la minimisation des crimes de Frank Houston et le "règne" de Brian. Les “anciens” de Hillsong n'étaient apparemment pas au courant de la manière dont Brian Houston opérait en tant que pasteur mondial :
“Les anciens de Hillsong sont les figures les plus illustres de l'église ; certains font remonter leur association avec l'église à ses premiers jours. Ils sont censés jouer le rôle de conseillers spirituels et donner des conseils avisés à l'église. Mais ils entendaient pour la première fois des détails troublants sur le comportement de Brian.”
Cette situation soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Si une église a des anciens qui sont chargés de fournir un soutien spirituel, comment un leader qui ressemble à un roi peut-il s'élever sans être contrôlé — et sans que l'on prenne soin de lui ? Un dirigeant n'a-t-il besoin d'être surveillé qu'après sa chute ? Et à ce moment-là, est-il pris en charge ou mis de côté ? Comment pouvons-nous nous assurer qu'un tel personnage ne se relèvera pas ?
Qui s'intéresse vraiment aux hommes comme Brian Houston ? J'entends cela dans le sens le plus généreux du terme. Brian Houston a réalisé son rêve. Le journaliste demande : "Alors pourquoi les pilules ? Et pourquoi l'alcool ?” Il nous renvoie à une interview que Houston a donnée en 2018 :
“Je supervisais tout un mouvement d'églises en Australie, 1100 églises. J'ai en quelque sorte géré la situation en tant que pasteur et en tant que père... mais je n'ai probablement jamais, jamais vraiment pris soin de moi, du deuil et de l'impact sur moi-même. À partir de ce moment-là — au cours des dix ou douze années qui ont suivi - je pense que j'ai lentement commencé à m'affaiblir sur le plan émotionnel.”
Les conditions néolibérales nous poussent à être responsables de notre "propre bien-être et de nos propres soins". Pourtant, dans le même temps, le besoin de travailler, de gagner de l'argent, d'être plus grand et meilleur, nous prive souvent de la capacité de prendre véritablement soin de nous-mêmes ou de nos communautés.
Je me garde bien d'être trop compatissant à l'égard de Brian Houston, mais pour le bien de la communauté des croyants qui étaient sous sa "responsabilité", nous devons nous demander : qui s'assure que ces personnes et leurs dirigeants sont véritablement pris en charge ?
Houston s'est peut-être soucié de ses richesses matérielles, mais avait-il la capacité de s'occuper de sa santé spirituelle et émotionnelle, de chercher de l'aide lorsqu'elle était nécessaire ou de s'occuper véritablement des autres ?
Comme le reconnaît David Hardaker, dans le christianisme pentecôtiste, "l'extraordinaire règne" et les miracles sont monnaie courante. Le christianisme lui-même est centré sur la croyance que les morts ressuscitent.
Phil Dooley, le nouveau pasteur mondial de Hillsong, veut faire de Hillsong, sous sa direction, une église "plus saine". Brian et Bobbie Houston ont annoncé sur les médias sociaux qu'ils lançaient un nouveau ministère et une nouvelle église en ligne.
Lorsque nous retraçons l'ascension et la chute — et la renaissance potentielle — d'églises telles que Hillsong, nous devrions laisser de la place dans le récit pour examiner attentivement la manière dont les églises et leurs dirigeants se protègent contre les préjudices spirituels, financiers et sexuels.
Nous devrions veiller à ce que les dirigeants chrétiens soient pris en charge, afin qu'ils soient en mesure de prendre soin des membres de leur communauté.
Rosie Clare Shorter pour The Conversation