Relativiser notre impuissance politique
T'es chrétien et t'es pas encore inscrit.e sur les listes électorales ? Il te reste quelques heures pour le faire en 3 minutes sur Internet.
Image : L’engagement politique du Pasteur Martin Luther King l’a mis dans une position délicate qui ferait pâlir nos pasteurs de megachurch.
Inscris-toi maintenant sur les listes électorales et lis cet article pour (re)prendre conscience de ton autorité politique et de ton pouvoir de changer les choses. Non, Karen, je ne parle pas de prier pour les nations...
Initialement j’ai écrit cet article au lendemain morose de l’élection présidentielle de 2022, mais étant donné le rapport des Français à la politique ces jours-ci, j’avais envie de publier un message d’espoir. Tout n’est pas perdu.
En tant que chrétien, ton pouvoir ne réside pas dans un bulletin en papier, il réside dans la flamme d’amour que tu entretiens au fond de toi. J’écris “amour” un peu mièvrement, car certains ont peur du mot “révolutionnaire”, bien qu’il n’y ait rien de plus radical et sans équivoque que l’amour.
Certains séparent leur spiritualité de leur rapport à la politique. Personnellement, mon rapport à la politique est l’expression de ma spiritualité. Pour moi, il ne s’agit pas d’adopter une posture militante pour revendiquer telle ou telle chose en fonction de ma religion. Il ne s’agit pas de dire que Jésus aurait eu une certaine couleur politique. Il s’agit encore moins de se positionner dans un choc civilisationnel ou culturel avec le monde. Pour moi, il s’agit, au minimum, de permettre à chacun de vivre dignement en accord avec lui-même et sous le regard de Dieu.
Sodome, l’effet Mandela et la société occidentale
Je suis souvent interpellée par l’effet Mandela autour du récit biblique de Sodome, une ville que Dieu a détruit par « le soufre et le feu » (en même temps qu’une autre ville voisine : Gomorrhe). On attribue souvent la punition divine qu’a subi cette ville à la débauche et à la dépravation qui y régnaient, et le mot “sodomite”, qui en est dérivé, fait aujourd’hui référence à une pratique sexuelle condamnée par les principales religions monothéistes. C’est comme si Dieu avait condamné l’homosexualité parmi les habitants de la ville. Pourtant, on parle très peu du “crime” pour lequel elle a véritablement été jugée, expressément décrit en Ezéchiel 16:49 :
« Voici quel a été le crime de Sodome, ta soeur. Elle avait de l'orgueil, elle vivait dans l'abondance et dans une insouciante sécurité, elle et ses filles, et elle ne soutenait pas la main du malheureux et de l'indigent. »
Ce passage, qui pourrait être le synopsis du film Don’t Look Up, décrit parfaitement notre société occidentale : nous continuons d’accumuler des richesses indécentes, sans nous soucier des dégâts que nous causons à notre environnement (comme si cela ne causait pas déjà notre perte) ; et malgré notre richesse et notre puissance nous voyons le malheureux et l’indigent comme une menace.
C’est une société que nous n’avons pas tous choisie, mais en tant que citoyens français, nous sommes régulièrement invités à exprimer par le vote la direction que nous souhaitons prendre dans la gouvernance du pays. En ce sens, j’ai toujours considéré que nous avons une responsabilité de pleinement prendre part à la vie politique de notre nation. Personnellement, je veux me positionner pour une nation française qui soutient la main du malheureux et de l’indigent (quelle que soit son origine, cf. l’histoire du bon Samaritain), et non pas une nation qui glorifie les richesses et le pouvoir au détriment d’une partie de la population.
L’illusion de ne plus avoir le choix
Nous sommes toutefois dans une impasse. Comme beaucoup, j’ai l’impression d’être forcée d’accepter des systèmes de gouvernance qui m’oppressent et entrent en contradiction totale avec cet idéal. Aux dernières présidentielles, j’ai hésité jusque dans l’isoloir (par procuration) pour choisir à qui donner ma voix. Je ne voulais pas faire le choix de l’extrême droite, qui nourrit la peur, la haine et l’ignorance. Je ne voulais pas faire le choix d’un deuxième mandat pour Emmanuel Macron, qui n’a pas tenu ses promesses de campagne et dont le bilan du quinquennat est catastrophique.
Je ne voulais pas faire le choix de Jean-Luc Mélenchon, qu’on nous présentait dès le premier tour comme le vote “utile” ou le vote “barrage” contre l’extrême droite, mais dont les intérêts personnels sont antagonistes avec le programme qu’il représente (JLM fait partie des 1% les plus riches et promet d’appliquer une meilleure redistribution des richesses) .
Je ne voulais pas non plus faire le choix d’un vote soit-disant “inutile”, car il n’emportera pas l’adhésion de la majorité, ou ne sera pas comptabilisé. Pour mon entourage, cela revient à donner mon vote à l’extrême droite, mais ce serait quand même un comble de blâmer les abstentionnistes et ceux qui votent pour de “petits” candidats étant donné les 30 dernières années d’alternative politique sans alternative économique.
Qu’est devenue ma liberté de véritablement choisir ? Celle qui me permet de poursuivre mon appel, de développer mon potentiel, d’exprimer ouvertement la personne que je suis, la personne que Dieu a façonnée. Qu’est devenue la liberté que je peux exercer avec sagesse et discernement, avec amour, et non pas sous la contrainte d’un péril imminent ?
La liberté que Dieu nous donne
Non, ce billet d’humeur ne va pas devenir une prédication, mais ce rappel me semble important. La première liberté que Dieu nous donne, c’est celle de pouvoir choisir librement : celle de Le choisir, ou non ; de nous positionner dans Ses plans, ou non. Dans la Genèse, Dieu a donné à Adam et Ève le choix de vivre dans le jardin d’Eden avec Lui, ou de manger le fruit défendu (Genèse 2:15-17). Adam et Ève ont fait le mauvais choix, certes, mais Dieu les a laissés faire. Il n’a pas enlevé l’arbre du jardin pour éviter qu’Adam et Ève ne choisissent l’option la plus désastreuse pour eux. Dieu les a responsabilisés en les laissant maîtres de leur sort. Ce choix est offert à chacun de nous. En Deutéronome 30:19, Dieu l’articule ainsi : « Je vous offre le choix entre la vie et la mort, entre la bénédiction et la malédiction. Choisissez donc la vie. »
Évidemment, nous sommes humains, nous sommes faillibles, nous ne choisissons pas toujours ce qui est dans notre intérêt. Pourtant, lorsque nous devons faire face aux conséquences désastreuses de nos choix malavisés, Dieu est toujours Dieu et Il reste avec nous. Il nous équipe pour façonner avec nos choix, la nation dans laquelle Il nous a placés.
Quelle est vraiment l’utilité du vote ?
S’il y a bien un vote utile, c’est celui qui exprime ce à quoi on adhère réellement. En ce qui concerne notre spiritualité, il n’y a pas de vote “chrétien”. Il n’y a pas de candidat “validé par Dieu”. Il n’y a que des chrétiens qui vont se positionner en fonction de ce qu’ils ont à cœur. L’utilité du suffrage universel est de pouvoir exprimer les différentes sensibilités des citoyens. Je n’adhère pas du tout aux discours d’appel au vote pour faire barrage à un candidat ou pour porter au pouvoir une certaine mouvance politique. Vote utile pour qui ? Vote utile pour quoi ?
La notion de vote utile ou vote barrage efface la représentation des Français et Françaises « qui ne sont rien » pour nos dirigeants, ce qui n’encourage pas notre gouvernement à les prendre en compte dans leur politique. Je pense que le mépris pour le dialogue démocratique durant le quinquennat écoulé (à ce jour notre président de la République n’a même pas daigné participer à des débats pour le premier tour des élections présidentielles) devrait nous pousser à nous faire entendre plus fort et porter la voix de ceux qu’on n’écoute jamais.
Les fruits du vote utile aux élections présidentielles de 2017
Certains de mes amis s’étonnent parfois du virage trèèèèès à droite qu’a pris le quinquennat d’Emmanuel Macron. On peut en partie l’expliquer par le fait qu’au moment où il a été élu, c’est le vote de l’extrême droite qui s’est véritablement exprimé comme alternative politique. Les féministes, les écologistes, les anticapitalistes, et autres, s’étaient effacés dans le vote “barrage” en lui témoignant leur adhésion…
Avec 66% des Français derrière lui, sans différencier qui avait voté utile, barrage ou par adhésion, Emmanuel Macron n’avait donc comme adversaire politique que l’extrême droite (33% des suffrages) puisque c'est cet électorat qui était identifiable. C’est cet électorat que le président est donc allé séduire tout au long de son mandat.
Rappelez-vous, j’ai écrit cet article en 2022. Depuis, Emmanuelle Macron a fait appliquer une bonne partie du programme de l’extrême droite avant même que celle-ci n’arrive au pouvoir.
La notion de vote utile n’a donc pas véritablement de sens dans ce système de scrutin uninominal majoritaire. Mathématiquement, il favorise la désignation d’un candidat avec un score claire (66% vs 33%), mais il ne laisse aucune place à la nuance : on ne peut pas différencier l’électeur convaincu par le programme de Macron de l’électeur qui veut faire barrage à l’extrême droite. De plus, des candidats avec de véritables chances de l’emporter se retrouvent désavantagés par la présence de “petits” candidats issus des mêmes mouvances politiques, dont la visibilité est pourtant tout aussi essentielle au dialogue démocratique et au financement des partis politiques (non, on ne peut pas blâmer EELV et Yannick Jadot pour la défaite de JLM).
Refuser d’être une minorité silencieuse
En tant que chrétiens, nous sommes sensés être à l’aise avec l’idée d’incarner la minorité. À Pâques, je relisais la passion du Christ dans la Bible et j’ai été interpellée par ce passage en Luc 23:50-52, après que Jésus ait rendu son dernier souffle sur la croix :
« Il y avait un homme appelé Joseph, qui était de la localité juive d'Arimathée. Cet homme était bon et juste, et espérait la venue du Royaume de Dieu. Il était membre du Conseil supérieur, mais n'avait pas approuvé ce que les autres conseillers avaient décidé et fait. Il alla trouver Pilate et lui demanda le corps de Jésus. »
Imagine être Joseph d’Arimathée, être minoritaire au Conseil supérieur et devoir décider de ce qu’il faut faire de Jésus. La majorité du Conseil et la foule ont opté pour une solution que Pilate lui-même trouvait injuste, mais cela n’a pas empêché le plan de Dieu de s’accomplir. Joseph d’Arimathée évoluait dans l’une des plus hautes sphères d’influence et n’a pas pu changer le cours des choses, selon ce qui lui semblait juste, mais il n’a pas compromis son intégrité en suivant le mouvement de la majorité.
D’autant plus que Dieu ne se soucie pas de ce que décide la majorité. Il se soucie de ce que tu fais personnellement. Si l’on en revient à notre exemple de Sodome, rappelons que la ville aurait pu être sauvée si Dieu avait trouvé une minorité d’hommes et de femmes justes dans la ville. En Genèse 18:32, Abraham intercède en faveur de Sodome auprès de Dieu :
« Abraham dit : « Que le Seigneur ne s'irrite pas et je ne parlerai plus que cette fois. Peut-être s'y trouvera-t-il 10 justes. » L'Éternel dit : « Je ne la détruirai pas à cause de ces 10 justes. » L'Éternel s'en alla lorsqu'il eut fini de parler à Abraham, et Abraham retourna chez lui. »
Le choix que tu fais personnellement compte, quelle que soit le choix de ta communauté ou de la majorité.
Se réapproprier notre autorité politique
On oublie souvent que rechercher et pratiquer la justice ne se limite pas à l’élection d’un président tous les 5 ans et à espérer qu’il ou elle respecte son programme. Nous ne devons pas percevoir le résultat de cette élection comme le fait de transférer notre autorité et notre pouvoir à une seule personne, surtout si l’on n’a pas voté pour celle-ci. Il s’agit de déléguer notre autorité, et donc d’exiger en retour de la responsabilité et de la redevabilité de la part de notre président, qui est un simple mandataire.
Je publie aujourd’hui cet article dans le contexte des élections européennes 2024 et encourage chacun à s’inscrire sur les listes électorales pour pouvoir voter.
En démocratie, l’alternative politique ne se limite pas à choisir un autre président, mais à nous exprimer dans les contre-pouvoirs que nous avons à disposition. Beaucoup de citoyens ne s’intéressent pas aux autres rendez-vous électoraux tout aussi importants, car il n’en comprennent pas forcément les enjeux : élections européennes, élections législatives, élections régionales, élections départementales, élections municipales…
Rappelons par exemple que les normes européennes édictées s’imposent aux lois de notre pays, que notre Parlement contrebalance (en principe) les pouvoirs du président de la République, que les prérogatives des conseils régionaux affectent des secteurs cruciaux de notre vie quotidienne (des transports à l'enseignement secondaire en passant par l'aménagement du territoire et la formation professionnelle), etc.
Le poids de la presse, de l’activisme et des associations
Même si elle nous épuise émotionnellement et qu’elle a ses propres démons à gérer, soutenir la presse indépendante et la pluralité des médias permet de tenir nos dirigeants responsables de ce qu’ils disent et ce qu’ils font. Cela permet également de discerner entre les promesses concrètes de campagnes et les affabulations — c’est d’ailleurs pourquoi il est scandaleux qu’un candidat a l’élection présidentiel ne se soumettent pas à un exercice de débat contradictoire face à des journalistes. J’appuie sur les termes “indépendante” et “pluralité”, car la presse en France est gangrenée par les velléités de quelques grands industriels (surtout Vincent Bolloré).
Affaire McKinsey, Pandora Papers, les déplacements en jet privé de nos dirigeants à la COP26 ou au bureau de vote… Pour s’assurer d’un minimum d’intégrité de la part de nos leaders, nous avons besoin de la presse. Les médias font également un travail d’information, de vulgarisation et de sensibilisation. Le rapport du GIEC serait indigeste pour beaucoup s’il n’y avait pas des journalistes pour le rendre accessible et compréhensible. Nous devons défendre une presse libre, plurale et indépendante politiquement et financièrement pour faire des choix éclairés.
“Journalism is printing what someone else does not want printed: everything else is public relations.” George Orwell
Soutenir et donner de la force à des associations et des organisations qui investissent le politique permet de continuer d’agir sur les fronts où nos leaders se sont désengagés. À titre personnel, je soutiens OXFAM, une organisation internationale qui œuvre contre la pauvreté et les inégalités. OXFAM est aussi connue pour travailler sur des rapport qui permettent d’évaluer l’efficacité des politiques mises en œuvre par nos pouvoirs publics. L’égalité femmes-hommes, par exemple, avait été déclarée « grande cause du quinquennat » par le président de la République (lors de son premier mandat), mais l’organisation a relevé dans un rapport publié en début d’année que les actions du gouvernement Macron n’ont eu que très peu d’impact.
Pour rester sur cet exemple, les associations féministes se sont aussi mobilisées tout au long du mandat d’Emmanuel Macron pour relever les incohérences de sa politique et pour donner de la visibilité à des problématiques essentielles comme les violences faites aux femmes. Elles ont pointé du doigt l’affront que représente le fait de nommer à la tête de la Police, Darmanin, un homme accusé de viol, et à la tête de la Justice, Dupont-Moretti, un homme qui s’est fait l’adversaire du mouvement #MeToo (qui a permis à des victimes de trouver le courage d’aller en justice).
La pression qu’ont exercée les associations féministes a d’ailleurs permis de faire reculer le gouvernement, qui souhaitait en 2019 “privatiser” le 3919, la ligne d’écoute pour les femmes victimes de violences. Le ministère chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes a annoncé en janvier dernier vouloir "réexaminer" cette procédure de marché public, qui aurait eu pour conséquences de précariser l’accueil téléphonique des femmes victimes de violences et de permettre à des entreprises de se faire de l’argent sur leur dos.
Reprendre le contrôle de nos vies : la liberté d’être libre
Sais-tu qu’il y a une distinction entre LA politique et LE politique ? La politique relève de l’action (régime, élections, partis, gouvernement, mouvements), tandis que le politique est rattaché à notre nature divine de femmes et hommes relationnels. C’est à cet égard qu’Aristote parle de l’Homme comme d’un « animal politique » et évoque un lien naturel entre les êtres humains. Le politique fait référence à notre participation à la communauté. C’est tout ce qui concerne le fait de faire société ensemble.
Quelle que soit les « causes », qui te tiennent à cœur ou tes sensibilités politiques, sache que ta voix compte : dans l’isoloir et dans tout ce qui touche aux affaires publiques. Ne te prive pas de l’exprimer.
Excelsior,
Tiavina Kleber
C’est le dernier jour pour s’inscrire sur les listes électorales pour pouvoir voter aux élections européennes le 9 juin prochain. L’inscription se fait en ligne et ne prend que 3 minutes.
« Si vous êtes déjà inscrit.e, ou si vous êtes un.e primo-votant.e et que vous avez été informé.e par votre mairie que votre inscription a bien été effectuée, vous n’avez aucune démarche à accomplir : votre inscription a été automatiquement effectuée par les autorités », renseigne Élection Europa.
Néanmoins, si un déménagement est survenu depuis les dernières élections européennes, une nouvelle inscription doit être faite auprès de la mairie de la commune de résidence.
Pour aller plus loin dans la réflexion :
Le livre : “La liberté d’être libre”, Hannah Arendt, éditions Payot et Rivages (2019)
Le podcast “Le journal de la philo : La politique et le politique” sur France Culture