Prud'hommes : Un pasteur fait condamner son église à lui verser 1 million d'euros
On parle de l'église Centre d'Accueil Universel en Île-De-France et d'un avertissement important pour toutes les mégaéglises.
C’est l’histoire du pasteur Borba, pour qui l’engagement et les responsabilités au sein de l’église étaient devenus insoutenables. Ce que raconte son avocat devrait faire écho à l’expérience de nombreuses personnes employées au sein d’églises évangéliques. Il semblerait que celles-ci doivent aussi se soumettre aux autorités qui nous gouvernent en termes de droit du travail.
Même lorsque vous n’avez pas de contrat de travail, et que vous avez signé une charte de ministre du culte, le Conseil des Prud’hommes peut se mêler de votre relation de travail avec votre employeur, qui est l’église, et requalifier cette relation. En septembre dernier, la justice prud’homale a statué sur les conditions de travail inhumaines d’un couple pastoral. Depuis 25 ans, Nilson Borba était pasteur au Centre d’Accueil Universel, une mégaéglise évangélique qui compte une quinzaine de campus à travers la France.
Épuisés par le ministère avec des horaires infernaux, peu ou pas de jours de repos, Nilson et sa femme ont confié au journal Le Parisien : « Même quand on était blessés ou malades, on nous demandait de tenir l’office. » Leur avocat, Me Marc Montagnier (barreau de Versailles) ajoute : « Au nom de Dieu, on demande aux pasteurs de se sacrifier, c’est de l’esclavagisme moderne. » Le conseil des prud’hommes a donné raison au couple Borba en condamnant le Centre d’Accueil Universel à leur verser près d’un million d’euros de dommages et intérêts.
Une affaire de vasectomies forcées
Estimant que les enfants sont un frein à la croissance de l’église, le Centre d’Accueil Universel encouragerait d’ailleurs les vasectomies parmi son staff ; une illustration extrême de ce qu’une institution avec un contrôle social très fort peut vous forcer à accepter. Dans un reportage émouvant, le pasteur Borba raconte au média Vakita : « On n’avait pas le droit de décider de quoi que ce soit. Cela a permis que nous finissions par nous soumettre à des choses, au point que la direction de l’église nous a convaincus de faire une vasectomie. » Le discours qu’avance l’église est malheureusement un classique, « c’est comme une mise à l’épreuve pour voir si le couple veut véritablement servir Dieu. »
L’intégrité du corps d’une personne n’était pas en jeu, mais j’ai vu des couples pastoraux prendre des décisions radicales qui affectaient lourdement leur vie privée parce que leur église le demandait : des déménagements au bout du monde, des modes de garde d’enfants, des ruptures, des mariages, des changements de carrière… Comment en sont-ils arrivés là ?
J’imagine parfois que la réponse se trouve dans ce que les chercheurs appellent “l’escalade irrationnelle d’engagement” ou le “biais d’engagement”. Parfois, lorsque nous avons investi autant de temps, de ressources et d’énergie dans quelque chose, et que cette chose est déjà manifestement en échec, on continue d’investir de manière irrationnelle parce que notre raisonnement se focalise sur ce que nous avons déjà investi, et non pas l’issue de cet investissement. En d’autres termes : “You have invested too much to quit.” Si pendant 10 ans, votre vie ne tourne qu’autour de l’Église, il est difficile de vous en détacher même lorsque les choses partent en vrille.
L’épuisement des staffs de mégaéglise en question
D’après le Parisien, trois autres pasteurs envisagent également de déposer plainte contre leur église : « Ce qu’a vécu Borba, c’est notre quotidien à nous aussi, on ne peut même plus voir notre famille, on doit demander l’autorisation pour chaque instant où on ne serait pas à tenir l’église du matin au soir ». L’avocat de Nilson Borba, Me Montagnier affirme être de plus en plus sollicité pour des cas similaires : « De plus en plus de personnes nous contactent. Ils ouvrent les yeux et se rendent compte qu’ils ont été exploités dans un enfermement progressif et vicieux. »
Il faut comprendre qu’on ne parle pas d’une petite communauté religieuse, mais d’une mégaéglise (plus de 2000 membres) appartenant à un mouvement international, l’Église universelle du Royaume de Dieu (EURD), qui compte près de 7 millions de fidèles à travers une centaine de pays.
« Ce mouvement récolte des sommes considérables de ses fidèles, d’où cette pression sur les pasteurs pour enchaîner les heures, explique Me Montagnier au Parisien, quel que soit le prix à payer pour ces petites mains. C’est une victoire historique contre cette organisation religieuse, car il s’agissait de faire reconnaître l’existence d’un contrat de travail entre le couple et le Centre d’Accueil Universel qui prétendait qu’il s’agissait de simple bénévolat. Mais vu les horaires, on est plus proche de l’esclavage antique. Cette décision courageuse va permettre à mes clients de retrouver leur dignité. Ils doivent se former pour apprendre un métier et ne plus dépendre des associations pour manger : quand ils sont partis de l’organisation cultuelle, ils n’avaient aucun patrimoine, ni argent sur leur compte bancaire après 25 ans de travail, 18h par jour. »
Une condamnation exemplaire
Comme dans beaucoup d’affaires d’abus, beaucoup de gens étaient déjà au courant des pratiques du top leadership du Centre d’Accueil Universel, mais très peu de gens n’osaient dire quoi que ce soit. La décision de justice était toutefois très attendue par des pasteurs ayant aussi quitté l’Église. Ému aux larmes, Nilson Borba a déclaré au Parisien : « Je remercie Dieu, il n’est pas coupable de l’attitude des hommes. C’est lui qui m’a donné la force d’endurer le rejet, puis l’abandon de tous mes proches et de mes pairs depuis que je suis parti de l’Église. »
La lutte contre les dérives et les abus dans les églises évangéliques passe aussi par le fait de les dénoncer devant la justice. Tant que nous n’aurons pas fait la lumière sur ce genre d’affaires, nous ne pourrons pas espérer de véritablement changement dans nos institutions et communautés religieuses.
« Je n’en ai jamais fait une histoire d’argent, affirme Borba, rien ne pourra nous rendre ces années de souffrance. Et l’absence d’enfant. Mais désormais, les fidèles sauront ce qu’il se passe pour leurs pasteurs. Car l’Église leur ment sur nos conditions de vie. Et je ne suis pas le seul dans cette situation. Cela va aider tous les autres qui avaient peur de porter plainte contre le Centre d’Accueil Universel. »
D’autres procédures sont-elles donc à prévoir ? Ou l’église va-t-elle entendre raison et modifier sa politique ? D’après le Parisien, le Centre d’Accueil Universel va faire appel de cette décision, qui devait toutefois être exécutée immédiatement.
Excelsior,
Tiavina Kleber