"Se marier, c'est quoi le but ?" Il est temps de se questionner...
Une femme chrétienne doit-elle forcément se marier ? On est en 2024, la réponse correspond à mon statut relationnel depuis 2009 : "c'est compliqué"
Partant du constat selon lequel le mariage séduit de moins en moins de gens, la fine équipe du podcast Sagesse et Mojito pose une vraie question : se marier aujourd’hui, c’est quoi le but ? Les arguments soulevés autour de la table sont pertinents et font écho à une vidéo TikTok que j’ai postée à l’occasion de la Saint-Valentin. Discutons.
Au sommaire de cet article de ma nouvelle rubrique, La Désinvolture :
Les femmes célibataires et sans enfants sont la démographie la plus heureuse dans le monde (occidental)
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Si vous souhaitez devenir plus intelligent, il faut consommer des contenus qui questionnent vos perspectives. C’est dans cette optique que j’écoute le podcast Sagesse et Mojito. L’épisode de cette semaine, sur l’utilité du mariage, était particulièrement intéressant pour moi, puisque j’ai décidé depuis toujours de ne pas me marier. Certains appelleront ce choix “hérétique”, d’autres le percevront comme une “dérive” de la modernité. Je préfère lui prêter les qualificatifs de “personnel”, “valide” et “qui ne regarde que moi” (et les partenaires que je suis amenée à fréquenter).
Le poids de la culture et des diktats sociaux
« Est-ce qu’on ne serait pas tous et toutes prisonnier d’un vieux mythe ? » lance Christel Lamère Ngnambi, politologue. Et c’est exactement comme cela que je perçois le mariage : un mythe, une aspiration, qui m’a été transmise (pour ne pas dire forcée) via la pop culture, les films Disney, le modèle de société dans lequel j’évolue…
Pour être complètement transparente avec vous, je n’ai pas grandi dans un foyer chrétien. Je suis issue d’une famille dysfonctionnelle. Je ne connaissais pas de couples mariés de longue date, où l’épouse était pleinement heureuse et épanouie.
Ma grand mère paternelle était divorcée puis remariée. Ma grand mère maternelle s’est retrouvée veuve avec cinq enfants, alors qu’elle était à peine plus âgée que moi aujourd’hui. Mes parents ont divorcé après plus de vingt ans de mariage, de la manière la plus dramatique qui soit. Mon père est aujourd’hui remarié. Ma mère est aujourd’hui pacsée, car elle ne croit plus en l’institution du mariage. Tout ça, pour vous montrer que je suis biaisée, et que j’ai de bonnes raisons, en tant que femme, de penser qu’un mariage ne me bénéficierait pas.
Ma perspective a évolué en allant à l’église ; même si je condamne fermement la culture de la pureté, omniprésente dans nos congrégations et dans les enseignements de nos pasteurs évangéliques. J’ai pu tisser des liens avec des couples équilibrés et accepter l’idée que finir mariée n’est peut-être pas la pire chose qui puisse nous arriver sur terre. Vous pouvez remercier mes amis Suzie et Wini, Pierre et Typhaine, Jenn et Romain, et même le couple d’influenceurs chrétiens Kevin et Lydia Tang. Grâce à eux, je ne lève plus les yeux au ciel lorsqu’une femme m’annonce qu’elle va se marier.
Dans Sex&The City, j’étais clairement une Miranda
J’ai grandi dans les années 90 et les années 2000. À l’époque, tout ce que vous regardiez à la télévision ne passait pas le Bechdel Test et semblait affirmer qu’une femme ne pouvait avoir de la valeur que si elle était désirée par un homme ; que l’accomplissement de sa vie, c’était le mariage. Comme l’écrit l’essayiste nigériane Chimamanda Ngozi Adichie1 :
« On attend de moi que je fasse mes choix de vie en gardant en tête que le mariage est la chose la plus importante. Oui, le mariage peut être une source de joie, d’amour et de soutien mutuel, mais pourquoi enseignons nous aux filles à aspirer au mariage, mais nous n’enseignons pas la même chose aux garçons ? Nous éduquons les filles pour qu’elles soient en compétition, non pas pour des postes ou des accomplissements, ce qui serait une bonne chose, mais pour l’attention des hommes. »
Sex&The City restera l’une de mes séries préférées. Je la re-regarde régulièrement. Ne pensez-vous pas que Carrie et Charlotte sont pleinement dans ce paradigme ? Même si je les adore et que j’estime que Charlotte est celle qui s’en est le mieux sortie dans la série, je trouve que ces deux jeunes femmes n’attendaient que d’être “choisie” par un homme — ce qu’on appelle aujourd’hui des “pick-me” dans la culture Internet.
Être une Carrie ou une Charlotte : très peu pour moi. Je voulais être une Samantha. J’avais 10 ans quand j’ai regardé la série pour la première fois, donc je n’aspirais pas à une vie sexuelle aussi débridée que celle de Samantha. Néanmoins, Samantha était celle qui avait toujours les meilleures histoires à raconter parce qu’elle était ouverte et curieuse du monde. Samantha est aussi une amie loyale, capable de créer de l’espace pour accueillir sans jugement et avec compassion toutes les confessions farfelues. Ça a façonné ma vision de la sororité : entre femmes, on doit s’édifier les unes et les autres, mais surtout, ne pas juger les parcours de vie de chacune. Le jugement est un obstacle à la compassion, qui elle, est une petite graine pour faire pousser l’amour.
Je voulais être une Samantha, mais j’étais clairement une Miranda. Miranda était obsédée par le fait de ne dépendre de personne. Sans doute traumatisée par sa relation avec ses parents, qui lui ont enseigné qu’elle ne pouvait compter que sur elle même, Miranda a excellé en toute chose pour s’en sortir seule dans la vie. Elle était la femme carriériste du groupe que les scénaristes ont punie. Comme elle était trop focalisée sur sa carrière et sur le fait de se construire un confort qui ne dépende pas d’un homme, son arc de personnage l’a conduite vers une vie moins palpitante que celle de ses amies (sous-entendu : la vie est ennuyeuse sans la compagnie d’un homme).
Les femmes célibataires et sans enfants sont la démographie la plus heureuse dans le monde (occidental)
Dans cet épisode de podcast, Sagesse et Mojito s’entend à dire que le mariage est un mythe, j’ajouterais qu’il est surtout un mythe pour les femmes. On nous promet l’accomplissement, l’enchantement, le soutien dont on a toujours rêvé… Pour finir avec une charge mentale de plus en plus difficile à assumer.
Pour beaucoup de femmes, le conte féérique est inversé. Se marier ne nous fait pas toujours passer de Souillon à Cendrillon, mais de Cendrillon à Souillon. Cela n’arrive pas à toutes les femmes, certes, mais cela arrive assez souvent pour que cela soit révélé dans des études scientifiques. Malgré la participation accrue des femmes au marché du travail, celles-ci assument toujours une plus grande part du travail domestique et familial que les hommes2. Il apparaît même que les couples vivant ensemble en n’étant pas mariés s’organisent de manière moins inégalitaire que les couples mariés. Les femmes en concubinage accomplissent moins de tâches domestiques que les femmes mariées, tandis que les hommes en concubinage effectuent une plus grande partie de ces tâches que les hommes mariés3.
D’après Paul Dolan, professeur à la London School of Economics, « les femmes sans mariage et sans enfants sont la démographie la plus heureuse du monde ». Elles auraient même tendance à vivre plus longtemps que leurs paires mariées et maman. En 2019, Dolan déclarait : « Si vous êtes un homme, vous devriez probablement vous marier ; si vous êtes une femme, ne vous donnez pas cette peine ! »4 Les hommes bénéficieraient davantage du mariage. « Vous prenez moins de risques, vous gagnez plus d’argent au travail, vous vivez un peu plus longtemps » explique le professeur.
En France, l’enquête de Titiou Lecoq, a révélé que, statistiquement, le couple accentue encore plus les inégalités économiques entre les hommes et les femmes. La journaliste explique même comment une femme s’appauvrit au sein du couple avec la théorie des pots de yaourt.5
Se marier = Donner sa vie pour des pots de yaourt ?
Imaginons, que moi Tiavina, je sois mariée à Valentin, et comme une grande partie des femmes en France, je gagne moins bien ma vie que mon conjoint, parce que je travaille à temps partiel pour pouvoir m’occuper des nos enfants, Toni et Griselda. Valentin et moi achetons une voiture, que je n’aurais jamais pu me permettre d’acheter si j’étais seule. Il se retrouve à rembourser le crédit pour la voiture avec son salaire d’homme et, pensant équilibrer les charges entre nous, je propose de payer les courses de la famille (les pots de yaourt). Lorsque nous nous séparons, chose que l’on anticipe jamais, Valentin quitte notre couple avec une voiture, et moi, il ne me reste que des pots de yaourt vides et la garde des enfants.
Les choses peuvent être plus pernicieuses. Mona Chollet a remporté en 2022 le prix européen de l’essai avec “Réinventer l’amour”6, dans lequel elle souligne comment la société déforme notre perception de l’amour pour amener les femmes à se mettre au service du foyer. Dans un entretien avec le quotidien El Mundo, Mona Chollet explique ceci :
« L’amour a toujours été utilisé pour assimiler les femmes à la famille, au foyer, à leurs enfants, pour les priver de leur légitimité dans l’arène professionnelle ou politique. L’amour est le terrain où nous sommes le plus vulnérables, nous voulons y croire, c’est un lieu de réalisation de soi. Mais cela nous rend plus fragiles car nous acceptons des choses que nous n’accepterions pas dans d’autres sphères de notre vie. Les femmes ont tendance à conditionner leur identité à l’amour avec un homme. En partie parce que, pendant des siècles, ce qui a donné à une femme un statut social et économique, c’était le mariage. »
Le mariage, une institution avant tout patrimoniale
Je n’écris pas ceci pour faire l’apologie du célibat en dénigrant le mariage. J’aimerais, comme le fait si bien le podcast de Sagesse et Mojito, nuancer le discours sur son idéalisation. Beaucoup de femmes dans nos communautés évangéliques se sentent stigmatisées et/ou malheureuses du fait de leur célibat. « Lorsque vous voyez une femme de 40 ans qui n’a jamais eu d’enfant, vous lui dites “c’est dommage, un jour tu rencontreras le BON gars et tout va changer”, note Paul Dolan, non, peut être qu’elle va rencontrer le MAUVAIS gars et tout va changer. Peut être qu’elle va rencontre UN gars, qui la rendra moins heureuse, en moins bonne santé, et qu’elle va mourir plus tôt que prévu. »
Sommes-nous donc vraiment étonnés que le mariage perde en popularité ? Les femmes vont elles continuer de s’assoir pour jouer à “La Bonne Paye” en sachant qu’elles ont 80% de chances de finir perdantes ? À ce titre, Jean-Christophe Jasmin, politologue, invoque dans le podcast l’impact de la contraception : avant, « le mariage servait à donner un cadre économique, d’interdépendance, qui permettrait d’élever un enfant. »
C’est un facteur important, selon moi, mais c’est loin d’être le facteur principal. En 1967, la contraception est devenue légale en France ; mais c’est en 1965 que les choses ont commencé à s’étioler pour le mariage traditionnel avec la fin de la tutelle maritale7 ! Grâce à la loi de 1965, promulguée seulement trois ans avant la naissance de ma mère, toutes les femmes mariées sont enfin autorisées à travailler, à ouvrir un compte en banque et à signer des chèques sans l’autorisation de leur mari. Avant cela, elles étaient considérées comme “mineures”.
Le mariage d’amour est une notion très récente à l’échelle de l’Histoire de l’humanité. Il s’agissait d’abord d’une question patrimoniale. Dans le contexte socioculturel dans lequel la Bible a été écrite, les femmes ont d’ailleurs le même statut que des objets. Le mariage en tant qu’institution patrimoniale était une manière de placer les femmes sous la protection d’un “bon père de famille” (guillemets MASSIVES sur cette expression). Les femmes n’avaient pas d’autre choix que de se marier pour pouvoir s’en sortir dans la société. Cela signifie que plus les femmes ont pris leur indépendance financière, moins elles avaient véritablement besoin de se marier. J’ai fait un TikTok sur le sujet juste avant la Saint-Valentin.
Une bonne partie des femmes aujourd’hui n’ont plus besoin d’être en couple avec un homme pour poursuivre une carrière, acheter un appartement, partir en voyage… Mon conseil aux hommes qui souhaitent donc trouver une compagne, dans ce contexte si différent de celui dans lequel évoluait leur mère, n’est autre que de s’améliorer (#LevelUp). Les femmes ont aujourd’hui véritablement le choix de se marier ou non. Le déclin des mariages est donc en partie lié à leur décision de ne pas se marier avec n’importe qui. Aux États-Unis, 70% des divorces sont demandés par la femme. Cela concerne aussi 62% des divorces au Royaume Uni et 75% des divorces en France. Les femmes ont maintenant la liberté d’appliquer au pieds de la lettre l’adage “il vaut mieux être seule que mal accompagnée”.8
Ma rencontre avec le sens biblique du mariage
J’ai beaucoup aimé le fait qu’un podcast chrétien ne se prive pas d’évoquer d’autres modèles de relation, qui ont le vent en poupe dans le monde séculier. Sagesse et Mojito, sans en faire l’apologie, met en avant le polyamour, comme tendance alternative. J’ai moi-même été très curieuse de ce phénomène social qui prend de l’ampleur auprès de nouvelles générations : comment cela peut-il marcher ?
J’en ai dévoré des podcasts et des lectures sur le sujet pour comprendre ce qui attire les gens dans cette configuration amoureuse. Sans jugement, le polyamour a (en théorie) le mérite d’éradiquer la notion de propriété dans les relations amoureuses : comme l’autre ne m’appartient pas, je dois apprendre à l’aimer et à grandir avec lui sans lui enlever sa liberté. Sur le sujet, j’ai trouvé très intéressant le témoignage d’un vrai couple, Dana et Daniel, sur leur expérience du polyamour, mise en scène en série sur TikTok.9
Photo : vous avez un aperçu de ma modeste bibliothèque, où Michel Onfray côtoie Jennifer Padjemi, parce qu’il ne faut pas lire que des gens avec qui l’on est d’accord. Les livres sont organisés par couleur parce que je suis un ennéagramme 4.
Ce que j’aime encore plus à propos de cette épisode de Sagesse et Mojito, c’est qu’il nous rappelle qu’il y a différentes visions du mariage. Lorsque nous abordons le sujet dans l’Église, il faut se dire que nous ne parlons pas tous de la même chose. J’ai compris très (trop?) tardivement que lorsque mes copines à l’église étaient outrées par le fait que je ne cours pas après leur bouquet de mariage, c’était parce qu’elles ne voyaient pas la réalité séculière du mariage que je décris dans cet article. De la même manière, il m’a fallu lire le livre de Joëlle Sutter-Razanajohary pour véritablement comprendre l’engouement évangélique pour le sacrement du mariage10.
Dans son ouvrage, la pasteure baptiste parle de l’enseignement biblique du couple comme d’une métaphore conjugale pour révéler la relation entre Dieu et chacun de nous. Dans une société de plus en plus sexiste, où les violences conjugales continuent de progresser (même au sein de couples chrétiens), il est urgent de repenser le discours de l’Église, pour qu’elle ne soit pas complice d’une violence systémique envers les femmes. Le mariage au sens biblique, le fait de devenir « une seule chaire », ne l’oublions pas, est fondé sur la réciprocité des époux11 :
« Maris, aimez vos femmes tout comme le Christ a aimé l'Église jusqu'à donner sa vie pour elle. Il a voulu ainsi rendre l'Église digne d'être à Dieu, après l'avoir purifiée par l'eau et par la parole; il a voulu se présenter à lui-même l'Église dans toute sa beauté, pure et sans défaut, sans tache ni ride ni aucune autre imperfection. Les maris doivent donc aimer leurs femmes comme ils aiment leur propre corps. Celui qui aime sa femme s'aime lui-même. En effet, personne n'a jamais haï son propre corps; au contraire, on le nourrit et on en prend soin, comme le Christ le fait pour l'Église, son corps, dont nous faisons tous partie. Comme il est écrit: «C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère pour s'attacher à sa femme, et les deux deviendront un seul être.» Il y a une grande vérité cachée dans ce passage. Je dis, moi, qu'il se rapporte au Christ et à l'Église. Mais il s'applique aussi à vous: il faut que chaque mari aime sa femme comme lui-même, et que chaque femme respecte son mari. »
Chacun est donc invité, comme Jésus, à s’abaisser à la position de serviteur de l’autre, pour refléter le cœur de Dieu. Je me souviens d’un mariage auquel j’ai assisté, où les mariés avaient choisi de chacun laver les pieds de l’autre à la fin de la cérémonie. C’était un geste symbolique que j’avais trouvé très touchant et de très bonne augure pour la culture évangélique.
En conclusion
Suivez le podcast Sagesse et Mojito. Suivez cette nouvelle rubrique sur mon blog. On grandit ensemble en s’enrichissant des perspectives de chacun.
Prochainement dans cette nouvelle rubrique : j’ai beaucoup de choses à dire sur les incels12, ces hommes célibataires qui blâment les progrès des droits de femmes pour leur solitude.
Excelsior,
Tiavina Kleber
Voir l’épisode de Sagesse et Mojito : “Se marier, c’est quoi le but ?”
“We should all be feminists” par Chimamanda Ngozi Adichie, basé sur son Ted Talk (oui c’est pas juste un son que Beyoncé à samplé).
“Partager les tâches domestiques ? La division du travail dans les couples selon le type d’union en France, 1985-2009”, par Lamia Kandil, Hélène Périvier, 2021
Blair et Lichter, 1991 ; Baxter, 2001 ; Davis et al., 2007 ; Domínguez-Folgueras, 2012 ; Bianchi et al., 2014
“Women are happier without children or a spouse, says happiness expert” The Guardian, 25 mai 2019
“Le Couple et l'argent - Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes” Titiou Lecoq, Broché, 2022
“Réinventer l’amour“, Mona Chollet, La Découverte (Zone), 2021
“La femme mariée avait le statut de mineure au même titre que les enfants”, Sabine Effosses pour le site du gouvernement d’Élisabeth Borne, 2023
“Pourquoi les femmes demandent-elles plus le divorce que les hommes ?” Nina Iseni pour Slate, 2022
“Une invitation à la danse“ Joëlle Sutter-Razanajohary, Éditions Olivétan, 2021
Éphésiens 5:25-33 BFC
“Comment devient-on un incel ?” Université de Montréal, 2022