« Tu m’étonnes qu’ils les aient tués »
Alors que les têtes continuent de tomber dans le monde des megachurches, la Révolution est-elle enclenchée ?
À cause d’une petite phrase lâchée sur TikTok, je me suis demandé si la prochaine ère du christianisme ne devrait pas réhabiliter la guillotine ? Pas au sens littéral, évidemment, attendez un peu avant de me faire ficher S !
Dans un TikTok viral cette semaine, une touriste américaine a partagé le moment où sa mère a acquis une conscience de classe. En visite au château de Versailles, la jeune femme se filme arpentant le cadre luxueux qui fut jadis la résidence du roi Louis XVI, dans une société profondément marquée par les inégalités et les abus de privilège. Sa mère entre alors dans le champ en souriant et s’exclame : « Tu m’étonnes qu’ils les aient tués ! »
Elle parle évidemment de Louis XVI et de son épouse Marie-Antoinette, décapités par le peuple pendant la Révolution française. J’ai ri bêtement à cette vidéo qui illustre comment les gens prennent conscience de certaines injustices lorsqu’ils sont témoins de la façon dont le système d’une organisation ne rétribue pas de la même manière tous les individus, qui pourtant sont soumis aux mêmes règles du jeu.
Ça m’a aussi fait penser à tous les scandales liés au « lifestyle » de certains pasteurs de megachurch. Les pasteurs et les leaders d’Hillsong et d’églises similaires se sont souvent fait remarquer pour leurs vêtements de marque, leurs belles maisons et leurs voyages qui font rêver.
Les « homo œconomicus » de la spiritualité
Si vous lisez régulièrement mon blog, vous savez que le modèle des megachurches, façonné par Hillsong, est un modèle lucratif qui vient avec son lot de privilèges pour une poignée de personnes. C’est pourquoi il est si difficile de le remettre en cause.
Imaginons qu’un pasteur principal ait grandi dans le système, travaillé et sacrifié toute sa vie pour arriver à une certaine position. Imaginons qu’il gagne aujourd’hui plus de 5000 euros par mois (quand le salaire médian en France est de 1900 euros par mois) et bénéficie d’une certaine autorité sur une communauté. Ce pasteur n’a aucun intérêt à voir le système évoluer. Il est au sommet de la pyramide. Il ne peut que la consolider.
À une échelle plus modeste également, imaginons que la vocation de pasteur soit précaire en France, mais qu’un couple pastoral ait réussi à signer un CDI au sein d’une megachurch et à obtenir un revenu stable pour exercer sa vocation. Ce couple n’a pas non plus intérêt à voir le système évoluer. Au contraire, avec un crédit immobilier qui pèse sur les deux salaires du couple pastoral, il est plus difficile de remettre en cause le confort de leur situation, pour tenter d’apporter plus de soin et de justice au sein de l’organisation.
Même si une église est une communauté religieuse, les individus qui la composent ont été façonnés par la société : ils sont considérés comme des individus qui font des choix économiques rationnels, des homo œconomicus, recherchant avant tout leur intérêt individuel. L’actualité et un peu d’expérience marketing montrent que les gens ne peuvent pas être réduits à cette définition, mais c’est cette facette de leur identité qui ressort le plus lorsque le modèle de l’église est calqué sur un modèle d’entreprise. L’objectif de ce modèle n’est pas le maintien d’un culte chrétien, l’objectif est la rentabilité.
Quand l’objectif d’une structure ecclésiale est la rentabilité, on se focalise un peu trop sur trois éléments :
Acheter des bâtiments/locaux
Faire grossir la communauté
Créer de nouveaux campus
Disclaimer : je ne dis pas que ces éléments ne devraient pas être recherchés par l’église, j’invite mes lecteurs à réévaluer leur classement dans la liste des priorités de la communauté.
Pour cet article, nous ne nous focaliserons que sur le premier élément. Nous traiterons les deux autres prochainement.
Investir dans la pierre quand on est une Église
En France, une église a le statut juridique d’une association cultuelle. Cela signifie que son objet social, sa raison d’être, est le maintien du culte et que les dons récoltés par l’association doivent servir à financer le culte. Il faut donc louer des locaux pour que ces cultes aient lieu. Cela représente un budget conséquent.
Pour certains, il vaut mieux acheter un bâtiment pour que l’église puisse faire des économies. Sans critiquer le fait de vouloir faire preuve de sagesse dans la gestion des ressources de la communauté, il faut faire face à la réalité que l’achat d’un bâtiment n’est pas une manière de faire des économies. C’est un investissement. Il y a toujours un crédit immobilier à rembourser et le montant des mensualités équivaut bien souvent à celui d’un loyer.
Ce qu’il faut se demander du coup, c’est à qui profite vraiment cet investissement et en quoi cela contribue à la réalisation de l’objet social de l’Église. Après tout, Jésus ne nous a pas demandé d’ouvrir des lieux de culte comme on ouvre des Starbucks à travers la ville. Il nous a demandé de prendre soin de ses brebis.
Comme beaucoup de megachurches, la Convention Baptiste du Sud a profité de son expansion pour financer la construction et l’acquisition de locaux à la hauteur de la vision de l’organisation. Dans les années 80, la plus large dénomination chrétienne des États-Unis a fait construire les locaux de son comité exécutif à Nashville pour 8 millions de dollars. L’investissement était intelligent puisque la valeur du bâtiment a été estimée à 31,7 millions de dollars en 2021, selon le journal Tennessean.
Cependant, en septembre dernier, la Convention Baptiste du Sud a annoncé devoir mettre en vente le bien pour couvrir les frais de justice liés aux affaires d’abus sexuels au sein de l’organisation. L’enquête sur les abus perpétrés par les pasteurs a déjà coûté 12 millions de dollars au cours des trois dernières années. Il apparaît donc que veiller à la culture de l’organisation, mettre en place des systèmes de responsabilité et de contrôle des pasteurs pour prévenir les abus et les dérives aurait été un investissement plus pertinent pour la mission de l’Église.
L'Église n’a pas besoin de ressembler à un palais, mais à un refuge pour les brebis
Le luxe ostentatoire des megachurches ne fait que renforcer une distance entre le pasteur et sa communauté. Quand les pasteurs se déplacent en voitures de luxe, prêchent dans des auditoriums dernier cri et vivent dans des maisons fastueuses, que reflètent-ils vraiment du Christ ? Jésus, dans son humilité, a vécu parmi les pauvres, les marginalisés, et a mis un point d’honneur à dénoncer ceux qui utilisaient la religion pour s’élever au-dessus des autres. Que penserait-il aujourd’hui des pasteurs d’églises comme Hillsong ou la Lakewood Church, où l'apparat et le prestige semblent passer avant le soin des âmes ?
Il ne s'agit pas de faire de la pauvreté une vertu en soi, mais de reconnaître que le message de l’Évangile est souvent trahi par ces extravagances. À force de se protéger dans leur bulle de privilèges, ces pasteurs échappent à toute responsabilité et à tout regard critique. Ils deviennent intouchables, comme les monarques d’antan qui se croyaient au-dessus de la justice divine et humaine.
La responsabilité spirituelle : un devoir négligé
Dans de nombreuses megachurches, les pasteurs jouissent d'un pouvoir quasi-absolu, souvent sans devoir rendre de comptes à une structure de gouvernance transparente. Ces leaders accumulent des richesses, non seulement à travers les dons de leurs fidèles, mais aussi grâce à des stratégies marketing bien rodées, vendant des livres, des conférences, et tout un merchandising autour de leur image. Cela crée un système où la spiritualité devient un produit à vendre, plutôt qu'une relation authentique avec Dieu.
Un cas emblématique est celui de Carl Lentz, ancien pasteur de Hillsong New York, qui a été démis de ses fonctions en 2020 après des scandales de moralité et d’abus d’autorité. Ce scandale n’est qu’un des nombreux exemples révélant les dangers d’un manque de transparence et d’un pouvoir sans contrôle dans les megachurches. Il aura fallu des années avant que ses abus ne soient exposés, alors que son style de vie extravagante et son attitude de « superstar » étaient depuis longtemps visibles pour tous.
La guillotine symbolique : couper la tête pour protéger le corps
Il est temps d’envisager une forme de « guillotine symbolique » pour ces pasteurs qui, au lieu de servir leur communauté, se servent de leur position pour accumuler prestige et richesse. Lorsqu'un leader ne répond plus aux besoins de sa communauté, il est légitime que cette dernière prenne des mesures radicales pour assurer son bien-être. Tout comme les révolutions ont déposé des rois qui oppressaient leur peuple, il est peut-être temps pour les fidèles de « couper la tête » de ces systèmes spirituels corrompus.
Cela ne signifie pas une violence physique, bien sûr, mais une action concrète pour retirer de leur position de pouvoir ces pasteurs qui ne remplissent plus leur rôle de bergers. Une Église saine est celle où le leadership est responsable devant la communauté, où les brebis ne sont pas sacrifiées sur l’autel du succès personnel et de la croissance matérielle. L’idée n’est pas de démolir l’Église, mais de la rendre plus authentique, plus en phase avec les enseignements du Christ, où chaque membre compte, et où les pasteurs sont d’abord serviteurs, pas des rois.
Remettre les brebis au cœur de la mission de l’Église
Il est urgent de réévaluer le rôle de l’Église comme communauté. L’accent mis sur les grands bâtiments, les gros budgets et la croissance à tout prix a détourné l’attention de ce qui est réellement important : prendre soin des âmes, aider les plus vulnérables, et créer un espace où chacun se sent accueilli et aimé. C’est là que se trouve la vraie mission de l’Église.
Les églises devraient être des lieux où les fidèles se sentent en sécurité et soutenus, pas des entreprises où les chiffres sont plus importants que les individus. Une communauté chrétienne digne de ce nom doit mettre en place des mécanismes pour surveiller les actions de ses leaders et veiller à ce que ces derniers ne s’écartent pas de leur mission.
Au lieu de protéger des pasteurs aux pratiques douteuses, les communautés devraient se doter d’outils de gouvernance efficaces, permettant aux fidèles de démettre de leurs fonctions ceux qui se servent de l’Église à des fins personnelles. Le modèle de megachurch tel qu’il est conçu aujourd'hui repose sur une quête effrénée de visibilité et de pouvoir. Mais l’Église, elle, doit se recentrer sur la justice, l’humilité, et le soin des âmes – à commencer par les plus faibles d’entre nous.
Excelsior,
Tiavina Kleber
Je ne suis pas certain d’être d’accord avec tout. En tant que gauchiste, il va sans dire que je suis opposé aux concentrations excessives de richesse. Cependant, je pense qu'une certaine inégalité salariale est justifiable en fonction de la disponibilité et des responsabilités que chacun assume dans le cadre de son travail. Ainsi, cela ne me choque pas qu’un pasteur puisse gagner bien au-dessus du salaire médian. J'ai moi-même occupé un poste avec ce type de salaire pendant des années. La réalité, c’est qu’une fois mes horaires achevés, le travail quittait entièrement mon esprit, et je m’en allais, qu’il y ait urgence ou non. Si l’on me demandait de rester, il fallait m’accorder des heures supplémentaires, et il m’arrivait de refuser, ce qui était parfaitement accepté. Pour les pasteurs, c'est souvent une tout autre situation : des horaires impossibles, des soirées et des week-ends largement absorbés par leurs fonctions. Je connais des structures où les pasteurs sont rémunérés en dessous du salaire médian, et le temps passé en dehors des heures "normales" retombe fréquemment sur le ou la conjointe, qui accepte généreusement de gérer la vie familiale en parallèle. Il n’est pas étonnant que beaucoup de pasteurs se retrouvent avec une vie de famille en souffrance. Un salaire significativement plus élevé pourrait compenser, en partie, ce sacrifice en permettant, par exemple, de financer plus facilement une aide à domicile ou une garde d’enfants, afin d’alléger le poids qui repose sur le conjoint.
Ce qui me semble en revanche très critiquable, c'est lorsque des pasteurs parviennent à s’octroyer de tels avantages au détriment d’autres employés, qui se retrouvent dans des conditions similaires sans en tirer les mêmes compensations. Cependant, il est important de garder en tête que, dans de nombreuses églises, les pasteurs sont souvent les seuls employés de leur paroisse, avec toutes les demandes que cela suppose. Certes, on pourrait argumenter qu’il faudrait davantage de personnel pour soutenir le pasteur. Mais comment garantir que ce modèle soit économiquement viable sur le long terme quand la paroisse ne compte qu’une vingtaine de membres ? D’où l’intérêt de bâtir des structures plus importantes, capables d’offrir un meilleur service aux paroissiens tout en répartissant plus équitablement la charge de travail. J’ai du mal à faire un procès fondamental aux megachurches ; je comprends le pragmatisme qui conduit à de tels modèles. À mes yeux, les problèmes d'organisation du pouvoir dans les structures ecclésiales que tu évoques ciblent bien mieux les vrais enjeux que le salaire des pasteurs ou l’existence même des megachurches.